En 1968, Steve McQueen EST l’Inspecteur Bullitt. Il prend le volant de sa Ford Mustang Fastback et sème le trouble dans les rues de San Francisco. Peut-être l’une des œuvres majeures des années 60 bien qu’il en existe tant d’autres mais celle-ci se veut particulière. En effet, Yates souhaite alors clairement redéfinir l’image du polar bien traditionnel et c’est un déluge dans plans très recherchés qui nous arrive : plans rapprochés pour montrer tout le charisme de Frank Bullitt, contre-plongée dans la poursuite à pied, jeu de miroirs jusqu’à la toute fin, jeu de reflets, vue subjective dans la poursuite, fameux plan du rétroviseur. Il est évident que ce film y est pour beaucoup dans la renommée de Steve McQueen et de son jeu d’acteur, le King of cool parvient même à mettre en lumière ses talents de pilote automobile (et c’est peu dire). Acteur difficile mais qui donne du cœur à l’ouvrage, il insista pour faire toutes les cascades lui-même jusqu’à débouler à 160 dans les rues de Frisco. Sans McQueen, Bullitt ne serait pas Bullitt et manquerait cruellement de charisme (un dur, un solitaire, un blasé, un justicier). Déjà connue pour avoir fait une apparition dans ‘Le Knack’ et pour avoir travaillé avec Stanley Donen ou Polanski, Jacqueline Bisset arrive à donner la réplique à un lieutenant de police plutôt refermé sur lui-même et masquant ses émotions. C’est grâce aux rares scènes de confrontation avec une femme et dans l’intimité que la nature plus profonde de Bullitt se révèle. Robert Vaughn est très convaincant et ambigu dans son rôle, notons la présence (presqu’une apparition furtive) de Robert Duvall en chauffeur de taxi et Don Gordon dont ‘Bullitt’ est un des seuls films à sauver en ce qui le concerne. Heureusement, Yates a décidé de s’inspirer de ‘Mute witness’, roman de Robert L. Pike (qui a également donné un film en 1994 du même nom), c’est-à-dire d’un vrai roman policier et tout le récit dont il est question n’est pas un simple prétexte pour réaliser la plus grande scène de course-poursuite du cinéma –longue de 10 minutes ! Au contraire, l’histoire est vraiment complexe, le suspense est haletant, les personnages cachent bien leur jeu… Avec un budget minimaliste de 4,5 millions de dollars, ce soi-disant petit film aux décors nombreux et aux extérieurs discrets s’est avéré être un triomphe dans les salles et fait toujours parler de lui aujourd’hui même si l’ambiance a un peu vieillie quand on pense aux plans dans le restaurant ou aux appareils dans l’hôpital. Cependant, grâce à un acteur merveilleux mais aussi à un réalisateur imaginatif et ambitieux, à une adaptation réussie ainsi qu’à une bande son encore cool il faut le dire ; l’effet escompté tient toujours. Un mot sur la musique de Lalo Schifrin qui est le régisseur des humeurs successives du film allant de la mélancolie au suspense très présent dans la poursuite (‘Shifting Gears’) en passant par la romance des scènes avec Jacqueline Bisset, le thème principal récurrent met le spectateur en confiance et accompagne très volontiers Frank Bullitt dans ses aventures. Le meilleur moyen de se faire une idée de la fameuse poursuite n’est pas de relater des anecdotes ou des faits (malgré quelques petits faux raccords çà et là) mais bel et bien de la voir ou de la revoir puisqu’on ne s’en lasse point. Ce polar très bien équilibré entre passion et solitude réinventa à son niveau le genre, la morale est certainement résumée par le plan final : McQueen se regarde dans le miroir de la salle de bains sans un mot, fatigué, résigné puis un autre plan coupe cette image pour montrer pistolet et balles. Peut-être est-ce parce que Bullitt voulait changer la rigueur policière (il ne sort son arme qu’à la fin après la poursuite sur la piste de l’aéroport) et la dureté de sa vie quotidienne à moitié dans la réalité du monde c’est-à-dire dans les égouts… Une réflexion utilisée de nombreuses fois plus tard car ‘Bullitt’ a été une vrai source d’inspiration quand on pense à des films comme ‘Dirty Harry’ (Eastwood s’est fait une spécialité du flic qui endure tout), la série des ‘Flics’ avec Delon ou ‘Police Python’ en France, également pour De Niro, Al Pacino, Bruce Willis… Bref un thème largement repris dans les 70’s autant aux Etats-Unis qu’en Europe.