https://leschroniquesdecliffhanger.com/2023/05/03/une-epoque-formidable-critique/
Avec "Une époque formidable", on est tout de suite plongé dans le quotidien d’une famille française moyenne de 1991, avec finalement, "progrès" technologiques en moins, peu de différences avec ce que l’on connaît aujourd’hui : le fric, la voiture, les bouchons, ou comme chantait Renaud dans Hexagone il y a encore plus longtemps, en 1975 à propos du mois de Novembre : « La bagnole, la télé, le tiercé, c’est l’opium du peuple de France, lui supprimer c’est le tuer, c’est une drogue à accoutumance« . Non, rien n’a vraiment changé.
Devant sa glace, tellement mieux que « You talkin’ to me ? « , Gérard Jugnot, notre Robert De Niro national scande: » T’es le meilleur Berthier, t’es un tueur Berthier, a Killer, Berthier » pour une scène tellement anthologique que nous en connaissons encore certains qui perpétuent le mythe en mimant ce moment certains matins devant le miroir !
Encore une réplique culte : "Freine Mimosa, freine" , tel un code pour se calmer les nerfs, pour celui qui porte non pas le nom des fleurs, mais plutôt celui des œufs. Et puis très vite en une journée finalement, survint la faim, l’usure du corps, du moral, des vêtements… On se repose quelques secondes sur un banc puis on finit par s’endormir dessus. Aujourd’hui les bancs sont souvent fabriqués pour empêcher que l’on y dorme, pas encore en 1991.
Le "moment Zabou", avec les médias qui viennent filmer la misère, pour émouvoir la ménagère, entre deux moments de cerveaux disponibles. Là encore, peu de changements avec ce que l’on connaît aujourd’hui, toujours plus de misère mais encore plus de médias… "Une époque formidable", au-delà de son glaçant cynisme qui montre plus qu’il ne dénonce, tant le constat porte déjà en soi les signes de l’immonde crapulerie de l’argent roi, c’est aussi une épopée humaine urbaine.
Après quelques semaines dans la rue, Berthier, ce n’est plus un killer, mais à l’inverse un mort-vivant. Emblème d’une France, d’un monde où la barrière qui sépare les deux univers est ensanglantée. "J’ai un petit coup de blues ", ajoute-t-il un peu après, avec Toubib, tous deux sur un banc, la nuit tombante sur la capitale, avec en fond ce solo de guitare électrique. Au travers d’une scène de cinéma, c’est toute la détresse humaine d’un pays qui s’exprime, où 32 ans avant 2023, tant de monde dort déjà dehors. Le chiffre explose depuis et les promesses, elles, s’envolent…
"Une époque formidable" fait partie de ces films qui témoigne d’une décadence contemporaine avec toute la force du cinéma. Le problème majeur de ce film est qu’il a tellement raison, et qu’il se regarde en tout cas avec la grâce de la mélancolie.