Tiré d'un roman de l'écrivaine de polars britannique P.D. James, "Les Fils de l'Homme" s'inscrit dans la lignée de ces films d'anticipation ayant comme cadre une Angleterre totalitaire inspirée du "1984" de Georges Orwell : "Fahrenheit 451", "Orange mécanique", "Brazil", "The Island", "V comme Vendetta". Là, comme chez Terry Gillian, le futur proche est dépeint comme un mélange de technologies déjà en gestation (publicité animée sur les bus, projection holographique sur le pare-brise) et de recyclage d'engins anachroniques (rickshaws, Avantime et CX break customisés), tout en s'appuyant sur des images imprimées dans l'inconscient collectif, comme ces carcasses de boeufs brûlant dans la campagne ou ces manifestations d'islamistes armés de kalachnikovs aux fronts ceints d'un bandeau vert.
Car le futur qui nous est promis n'est qu'une extrapolation pessimiste de ce que nous connnaissons : épidémie, pollution, terrorisme, camps de rétention. Comme dans "Soleil Vert", on y propose un programme de suicide assisté baptisé Quietus. Des clips dans les bus nous montrent la destruction des principales cités du monde, et l'Angleterre est visiblement devenue un des derniers lieux préservés vers lequel convergent des réfugiés venant de toutes parts, et ceux-ci sont traqués et parqués comme des animaux.
"Animals", voilà d'ailleurs une des clés de l'adaptation de Cuarón : l'usine aux quatre cheminées de la pochette du disque des Pink Floyd abrite le cousin de Theo qui parmi les oeuvres qu'il tente de récupérer de la destruction (Guernica, David de Michel-Ange) a sauvé l'immense cochon gonflable de Roger Waters, en même temps qu'on entend "Pigs". Et la boucle est bouclée quand on sait que ce titre avait été choisi en référence à "La Ferme des Animaux", du même Orwell. Cette évocation de la musique des années 70 est aussi portée par le personnage de Jasper, vieux hippie formidablement joué par un Michael Caine méconnaissable, et qui écoute Radiohead, les Stones ou King Crimson.
On l'a compris : l'univers créé par le metteur en scène mexicain est très réussi, ce qui est déjà fondamental pour un film d'anticipation. Mais sa qualité repose aussi sur la virtuosité de la réalisation ; les nombreuses scènes d'action, comme la poursuite dans la forêt ou l'assaut de l'immeuble des insurgés par l'armée sont tournés en plans-séquences, technique que maîtrise parfaitement Cuarón comme il l'avait démontré dans "Paris, je t'aime" où les six minutes de la dispute de Ludivine Sagnier et de Nick Nolte étaient tournées en un seul plan. Ce réalisme quasi-documentaire concourt à la tension qui sous-tend toute la seconde partie du film. Mais cette virtuosité ne tourne pas à vide ; elle est au service de la narration, et par un jeu de contraste, la scène où insurgés et troupes d'élite baissent les armes pour laisser passer l'enfant est superbe.
Outre Michael Caine, la distribution est à la hauteur : Clive Owen, retrouvant la fougue de sa jeunesse en acceptant d'endosser cette paternité symbolique et miraculeuse, Julianne More, parfaite comme toujours, la jeune Claire-Hope Ashitey déjà vue dans "Shooting Dogs" et Peter Mulan en kapo du camp d'internement cauteleux et brutal. Cuarón a indéniablement une empreinte personnelle. Son Harry Potter marquait parfaitement l'entrée du héros dans une période plus noire, à la limite du fantastique. Là, il choisit salutairement une immigrée clandestine pour porter l'avenir de l'humanité : parabole bienvenue en cette période de grand repli sur soi de notre vieux continent.
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