Zack Snyder s’attaque à l’un des monuments de la bande dessinée moderne, Watchmen, avec une ambition impressionnante et une fidélité presque maniaque. Le résultat est un film complexe, oscillant entre l’éclat visuel et une narration parfois étouffée par son propre poids. Si l’audace de Snyder est indéniable, son approche laisse autant admiratif que légèrement frustré.
Dès les premières images, Watchmen frappe par sa beauté formelle. Chaque plan est une composition soignée, souvent directement calquée sur les pages du roman graphique. Snyder excelle dans la recréation visuelle de cet univers dystopique, du New York crasseux des années 80 aux panoramas martiens éclatants. La richesse des détails est telle que chaque recoin de l’écran semble porteur d’une histoire.
Cependant, cette recherche constante de perfection visuelle s'accompagne d’une rigidité qui empêche le film de respirer. Les images, aussi magnifiques soient-elles, paraissent parfois figées, presque artificielles. Le style domine le contenu, laissant une impression d’esthétisme déconnecté de l’émotion.
L’univers de Watchmen est sombre, oppressant, et Snyder parvient à capturer cette atmosphère. L'ombre de la guerre froide plane sur chaque scène, ajoutant une couche de tension palpable. Les horloges, omniprésentes, rappellent un compte à rebours inexorable vers une catastrophe.
Pourtant, cette ambiance, si percutante sur papier, manque d’un souffle véritable à l’écran. Là où l’œuvre originale nous plongeait dans une paranoïa subtile, le film amplifie tout avec une emphase qui frôle parfois la caricature. L'élégance froide de l’époque est là, mais son cœur semble absent.
Les protagonistes de Watchmen sont des héros brisés, confrontés à des dilemmes moraux complexes. Jackie Earle Haley brille dans le rôle de Rorschach, incarnant avec intensité un justicier brutal et inflexible. Sa performance est la colonne vertébrale du film, et chaque scène où il apparaît captive.
Billy Crudup, dans le rôle du Docteur Manhattan, apporte une froideur mélancolique qui sied parfaitement à ce dieu désabusé. Sa voix douce contraste magnifiquement avec sa présence imposante. Cependant, certains personnages peinent à trouver leur place. Malin Åkerman, en Silk Spectre, n’apporte pas la profondeur nécessaire pour rendre son arc narratif poignant, et Matthew Goode livre un Ozymandias trop distant pour réellement captiver.
Le principal défi de Snyder était de condenser la richesse narrative de la bande dessinée en un long-métrage. Le film parvient à conserver les grandes lignes de l’histoire, mais au prix d’un rythme souvent bancal. Les flashbacks, bien que nécessaires, ralentissent parfois l’intrigue principale, et certaines scènes s’étirent inutilement.
De plus, Snyder reste prisonnier de son admiration pour l’œuvre originale. En reproduisant minutieusement chaque détail, il sacrifie sa propre vision. Cela donne un film fidèle mais mécanique, qui manque de spontanéité et d’âme. La narration est efficace, mais jamais transcendante.
Le dénouement de Watchmen est fidèle dans l'esprit, mais légèrement modifié pour des raisons de cohérence cinématographique. Le remplacement du calmar géant par une attaque attribuée au Docteur Manhattan fonctionne sur le plan narratif, mais atténue l’étrangeté unique de l’original. Si ce choix simplifie les choses pour le spectateur, il ôte une partie de l'impact émotionnel et de l’étrangeté qui faisaient la force de l’histoire.
Snyder a choisi d’accompagner son récit d’une bande-son composée de morceaux emblématiques. Si des titres comme The Times They Are A-Changin' de Bob Dylan renforcent l’atmosphère nostalgique, d'autres choix paraissent excessifs. La scène d’amour sur Hallelujah de Leonard Cohen, par exemple, tombe à plat à cause de son caractère involontairement comique.
Watchmen est une œuvre ambitieuse, visuellement impressionnante et respectueuse de son matériau d’origine. Cependant, son adhésion presque religieuse à la bande dessinée finit par devenir un obstacle. Le film manque d’une véritable émotion et d’un souffle narratif, ce qui le rend plus admirable que réellement bouleversant. Si Watchmen mérite l’attention pour sa singularité, il ne parvient pas à transcender ses propres limites.