Attention, cette critique dévoile des éléments importants du film.
"Hunter", c'est le titre original du script du film de John McTiernan, titre judicieux puisque c'est bien de chasse dont il est question ici. Cette idée de ne pas pouvoir se retrancher derrière un sombre message politique ou moral est d'ailleurs bien la plus effrayante car il ne s'agit que d'hommes traqués et tués les uns après les autres par un prédateur envoyé sur Terre uniquement pour cela. C'est le seul programme du film : la chasse est ouverte, et elle sera sauvage. À la chasse, il y a forcément un chasseur et un chassé, et le rapport de force, longtemps favorable à la créature, tient essentiellement à une question de vue et de regard. La différence de perception entre le Predator et le commando d'élite tient d'une part à un avantage pour le premier, qui ne peut être vu grâce à sa capacité caméléonesque, et d'autre part à une opposition très nette marquée par la mise en scène, qui représente le regard du monstre par un changement de régime d'image, soit l'utilisation de la caméra thermique. Anna ne ment donc pas quand elle explique que c'est la jungle qui a emmené Hawkins, incapable de décrire autrement "l’apparition" d’une force invisible, de même que Billy sent avant ses équipiers cette présence hostile, même si son sixième sens n’est en rien déterminant. Voir et ne pas être vu sont les facteurs essentiels de cette lutte acharnée, liés à un autre élément fondamental qu'est la ruse. Quand Dillon et Mac, cachés, aperçoivent leur bourreau en haut d’un arbre, ils établissent une stratégie pour le piéger alors qu’ils ne se demandent même pas pourquoi ils sont en mesure de le voir : au moment où ils comprennent que la bête le leur a permis, il est déjà trop tard. Tout n’est donc pas affaire de force, malgré la puissance physique et militaire à l’œuvre, mais également de ruse et de chance ; car ce qui permet à Dutch d’échapper au massacre, c’est le hasard d’être couvert de boue et ainsi de devenir l’alter ego du chasseur. Lui aussi invisible et se déplaçant d’arbre en arbre, il a dû s’adapter au Predator pour également devenir la jungle. Incapable de comprendre pourquoi le leader de cette équipe de sauvetage lui résiste, l’extraterrestre examine son visage de la même façon qu’il tient entre ses mains les crânes de ses précédentes victimes, un moment fascinant qui problématise le rapport à l’altérité dans le sens où l’autre est différent – ce n’est pas la même espèce – et en même temps pareil puisque lui aussi est parvenu, par d’autres moyens, à prendre la mesure de son environnement et de son adversaire. Enfin, les dernières minutes abolissent la relation chasseur-proie pour se recentrer autour d’un bras de fer mental, lequel fait écho au bras de fer physique entre Dutch et Dillon lors de leurs retrouvailles. Grand film sur le regard, sur la prédation et sur l’altérité, "Predator" est un chef-d’œuvre !