La mise en abyme entretenue par le film dès ses premières minutes, avec ce duo d’amies regardant la télévision, jusqu’à la duplication de la cassette originale, atteste l’intelligence de Gore Verbinski et de son équipe, conscients de la nature singulière, presque décevante du projet auquel ils se consacrent – faire le remake d’une œuvre japonaise pour la rendre accessible sur le sol américain. Dès lors, le jeu de pistes dans lequel s’engage la journaliste se double d’un second jeu de pistes, offert cette fois au spectateur : un jeu des sept différences entre l’original et la copie, copie non-conforme comme l’attestent les deux encodages distincts des cassettes. Les victimes n’entendent plus les sons hurlants de la bande passante par téléphone mais le nombre de jours leur restant à vivre (sept), ce n’est plus un message caché dans la vidéo mais l’image d’un phare, la mère de la fille diabolique n’est plus une médium persécutée mais une éleveuse de chevaux incapable d’enfanter, elle n’est pas à l’origine de la noyade de son enfant, l’ultime appel téléphonique n’est plus passé par le mari agonisant mais par l’épouse qui cherche à avertir son ex-conjoint du danger qu’il court, etc.
Aussi le film recompose-t-il une histoire qui évacue la dimension spirite au profit d’une dimension plus sociale : soit la crise d’un couple pour qui l’adoption a entraîné, sur le microcosme insulaire où il vivait, un enchaînement de catastrophes, plongeant la famille et le reste des habitants dans la pénombre. La malédiction réside ainsi moins dans la petite fille à proprement parler que dans son histoire, que n’importe qui raconte, duplique en s’appropriant ce qui n’est pas sien, en abîmant la mémoire des êtres qui ont souffert, de la même manière que les phrases en usage meurtrissent le cœur des endeuillés – demander si « ça va » à un père qui assiste aux funérailles de son adolescente.
Gore Verbinski compose donc, comme à son habitude, une critique cynique de la nature humaine : en refusant d’écouter les avertissements et d’interpréter les signes – couper la parole à la maîtresse d’école faute de temps, avec une arrogance qui pousse la journaliste à refuser la mise à pied ordonnée plusieurs fois par son patron –, en courant partout alors même que la réponse se trouvait sous les pieds de chacun dans le premier lieu visité, en disséminant partout des germes du chaos, les hommes transforment une tragédie familiale en récit à frissons et, par lâcheté et égoïsme, transmettent à autrui le Mal par incapacité à accepter leur sort. La photographie bleu gris fige dans un hiver sans fin ce récit prenant place entre The Weather Man (2005) et A Cure for Wellness (2016).