J'ai bien sûr vu tous les films de Sergio Leone, mais il n'y a rien à faire, celui-là reste de loin mon préféré sur le plan émotionnel. Je l'ai vu 7-8 fois tant il est merveilleusement à part. Sergio ne devait en être que le producteur, mais un traquenard américain a fait qu'il a fallu qu'il le réalise au dernier moment, rapatriant ses scénaristes à la va-vite. Il avait enfin obtenu James Coburn qui avait été trop cher par le passé, et Rod Steiger lui avait été imposé. Ca se passait mal avec ce dernier, il se considérait comme un acteur d'exception et refusait de se fondre dans le personnage que Sergio voulait lui imposer, il voulait jouer un peu le rôle du révolutionnaire charismatique mais Sergio ne le voyait qu'en "voleur de poulets". Au vu du résultat absolument parfait de ce duo (j'ai beaucoup du mal à imaginer d'autres meilleurs acteurs que ce révolutinnaire irlandais distingué et alcoolique et que ce bandit crasseux et roublard, très très attachants tous les deux), je tire mon chapeau à Sergio d'avoir su leur imposer ses volontés et son style bien à lui, d'une grande personnalité il connaissait ses acteurs et savaient en tirer le meilleur. Deux très grands acteurs dirigés de main de maitre, ils crèvent l'écran à chaque scène, et c'est là surtout que Sergio Leone exercait son génie, exigeant dans chaque détail, dans chaque angle, dans chaque regard, dans chaque posture et dans chaque geste, précis sur tout. Sergio disait que c'était le film qui le tenait le plus à coeur, fils unique souvent seul il aimait travailler son imaninaire à travers les livres, son père faisait déjà du cinéma, et il y est venu naturellement, il disait que le cinéma était la vie et vice-versa. Il aurait aimé avoir un frère, il a donc eu beaucoup de plaisir à faire naître cette grande amitié entre ces deux acteurs.
Le cadre de la révolution apporte un poids certain au film, engagement, trahison, ces émotions souvent fortes viennent se rajouter à leur amitié. Les flashbacks sont exceptionnels. C'est parfois tragique, parfois comique, bref une vraie tragi-comédie italienne.
Sergio travaillait aussi la musique de chaque scène avec Ennio, qui s'est vraiment dépassé sur ce film (les meilleurs musiques pour le meilleur film à mes yeux), Ennio devait souvent revoir un peu sa mélodie pour telle ou telle scène, après plusieurs itérations elle collait à l'image que Sergio voulait, c'est bien lui qui plaçait les bonnes musiques aux bons instants. Pour lui, la musique était encore plus importante que les dialogues, elle était un personnage à part entière.
Sergio était pour moi le plus grand génie du cinéma, et c'était un humaniste, j'ai de la peine quand je pense parfois à cette crise cardiaque venue trop vite. Il devait régler beaucoup de problèmes d'ordre pécuniaire, et les américains n'étaient pas tendres avec lui. La chronologie du film écourté avait été refaite aux US, et le titre "Duck, You Sucker!" n'était pas flatteur. Il aurait eu un bien meilleur succès aijourd'hui si les américains l'avaient davantage respecté. C'est quelque chose d'être un réalisateur de grands films sujets à tant d'impondérables, je regrette que ça n'ait pas été plus facile pour lui. Et puis j'aurais aimé qu'il devienne une légende vivante, il le méritait amplement.
Beaucoup préfèrent le film en Amérique. Oui, là aussi de très belles musiques calées sur de belles scènes, mais je n'y retrouve pas la chaleur humaine de l'irlandais et du mexicain, cette profondeur dans les rôles. Le personnage de De Niro est trop froid, atone, il est à côté de lui-même. Et puis l'histoire est plus froide et violente, tous sont des gansters, ce n'est pas une tragi-comédie.
Même la scène de la montre gousset, un objet qui réapparait dans la fin du film n'a pu avoir l'émotion de la scène originale au Mexique (chut), car le film n'a pas réussi à emporter le spectateur aussi loin que le Mexique l'avait fait.
Je recommande à ceux qui l'ont vu trop vite de profiter d'un moment calme dans leur vie pour redécouvrir ce films tranquillement, loin de tout ... car il est si loin des autres.