Il était une fois la révolution est l'épisode central de la trilogie des "Il était une fois..." de Sergio Leone, et est des trois films celui qui a connu le tournage le plus mouvementé: si la trilogie était une fratrie, Il était une fois dans l'Ouest serait l'enfant sage et sans histoire, Il était une fois en Amérique le petit dernier chéri et gâté, et il était une fois la révolution l'enfant terrible.
Et pour cause le film fut imposé à Leone qui voulait déjà réaliser son film de gangsters. Les relations
avec l'un des deux acteurs principaux, Rod Steiger, furent qui plus est particulièrement conflictuelles.
Chronologiquement, il était une fois la révolution prend place vers 1915, durant la révolution mexicaine et est donc presque parfaitement à mi-chemin des deux autres films de la trilogie, le premier se déroulant vers 1840-1850, le troisième dans les années 1970. Par le thème traité, il appartient à la famille des westerns zapata.
Le film nous narre les aventures d'un duo improbable composé d'un bandit de grand chemin mexicain, nommé Juan Miranda (et incarné par Rod Steiger), et d'un ancien révolutionnaire irlandais, John Mallory, joué par James Coburn.
Le duo constitue un des leitmotiv des films de Leone: le duo Tuco- l'Homme sans nom dans Le bon, la brute et le truand ; le duo Cheyenne-Harmonica dans Il était une fois dans l'Ouest, et enfin le duo Max-Noodles de Il était une fois en Amérique. Les deux premiers étaient composés de desperados, le dernier de deux hommes que l'on peut qualifier de "modernes" au vu des époques principalement traitées par Leone. Le duo de Il était une fois la révolution va effectuer la synthèse de ces deux tendances.
La scène d'arrivée de John reflète parfaitement cette opposition entre les deux hommes: alors que Juan pille une calèche à la manière des hors-la-loi du XIXème, Mallory arrive dans un nuage de fumée sur une moto. Tradition d'une part, modernité de l'autre. Cette opposition se retrouve dans les armes employées par chacun: Juan tire une balle dans le pneu de Mallory, ce dernier fait sauter sa calèche. Une manière pour Leone de se moquer doucement de ces bandits devenus presque plus pittoresques que dangereux.
La relation John-Juan va constituer l'un des principaux thèmes du film, bien qu'il s'agisse sans doute de la partie que Leone traite de la manière la plus classique: d'une simple relation mûe par la nécessité (Juan a besoin de Mallory pour piller la banque de Mesa Verde, et John a besoin de Juañ pour traverser le désert), on évolue vers une amitié bien plus franche, ce qui rend le dénouement du film (et la dernière phrase, qui est malheureusement impossible à entendre sur les versions modernes du film) encore plus poignants. Cependant, leur relation demeure la principale source d'humour du film, et l'on ne peut que rire en voyant les coups bas que se font les deux hommes, principalement durant la première moitié du film.
Mais parlons de la révolution, thème principal du film avant tout. La citation de Mao au début du film donne le ton. À "l'acte de violence" que décrit le leader chinois s'oppose une autre force plus sournoise, mais potentiellement plus forte: celle des mots, qui peuvent soutenir la violence, ou au contraire l'annihiler. La fameuse scène de la calèche, où Juan se retrouve en compagnie de nantis, le démontre: ceux-ci moquent le bandit, le traitant de "sauvage", d'incestueux,... Cette salve de phrases méprisantes est proférée alors que Leone effectue un gros plan sur les bouches des bourgeois, insistant ainsi sur ce pouvoir que les pauvres comme Juan, qui se tient coi lors de la scène, ne possèdent pas. Mais la violence finit par interrompre ce discours méprisant, et retourne la situation à l'avantage du bandit mexicain. Ainsi le spectateur semble pouvoir appréhender positivement cette révolution, où l'énergie semble pouvoir triompher de la parole. Pourtant, Mallory,ancien de la révolution irlandaise, se montre beaucoup plus prudent vis-à-vis de cette violence exacerbée, et conserve une approche intellectuelle de la révolution.
Mais, après s'être retrouvé embrigadé dans la révolution avec Juan (à l'occasion de nombreux passages comiques), voilà que ce pouvoir insidieux des mots revient, sous la forme du docteur Villega, meneur de la révolution à Mesa Verde. L'homme est un intellectuel, affirmant que "tout le monde ne peut pas se battre". Kafka affirmait: "Chaque révolution s'évapore en laissant seulement derrière elle le dépôt d'une nouvelle bureaucratie." Villega incarne ce proverbe. En effet, pendant que les paysans mexicains luttent et meurent au combat, ces intellectuels s'accaparent le pouvoir, car ils auront "coordonnés". Et bien que croyant en la révolution, il ne peuvent s'empêcher de s'inspirer des anciens régimes là où il faudrait une pensée radicalement nouvelle. Lorsque Juañ lui révèle que les révolutions ne sont qu'un éternel recommencement dans un discours chargé de colère, John, héros positif, rejette les beaux discours qui appellent à la révolution, et jette symboliquement un ouvrage de Bakounine dans la boue. Le message délivré par Juañ est d'autant plus vrai que celui-ci est sans doute de toute la filmographie de Leone le personnage qui ressemble le plus au réalisateur italien.
Leone ne tombe cependant pas dans le piège du manichéisme (malgré le côté caricatural du personnage de Günther Reza). En effet, comme dans les autres films de la trilogie, le ton d'Il était une fois la révolution est marqué par un désenchantement profond. Ainsi, à chaque action glorieuse effectuée par le duo (évasion in extremis, victoire inattendue sur un régiment contre-révolutionnaire) succède une réaction brutale et violente: dans le premier cas, une scène de massacre admirablement filmé par Leone, inspirée de massacres commis durant la Seconde Guerre Mondiale en Italie, dans le deuxième, la découverte d'un charnier de révolutionnaires. Mais le film ne se montre pas pour autant complaisant envers les révolutionnaires, qui sont montrés en train de fusiller arbitrairement des loyalistes désarmés.
Mais le point d'orgue du film demeure probablement la scène nocturne où des résistants sont reconnus par un Villega capturé et torturé, puis fusillés par les loyalistes.Dans la mise en scène, on ne peut penser qu'au "Tres de Mayo" de Goya, mais là,nulle blancheur ne vient transpercer la noirceur des uniformes et de la nuit. Leone jette donc un regard cynique et sceptique sur cette révolution, et plus probablement sur toutes les révolutions, regard que l'on peut mettre en lien avec sa situation personnelle, au vu de l'incapacité pour Leone de réaliser toutes ses ambitions cinématographiques.
Le film traite donc de la révolution avec une admirable finesse, et ce paradoxalement grâce à la mauvaise volonté dont Leone fit preuve lors du tournage de celui-ci, et dont Juañ, curieux exemple de double cinématographique, se fait le porte-voix.
Pour reprendre la trilogie dans son ensemble, on note encore que Il était une fois la révolution effectue la synthèse des deux tendances renfermées par Il était une fois dans l'Ouest et en Amérique.
Pour le premier, il s'agit du sentiment que l'issue du film, le triomphe d'Harmonica sur Frank, est inexorable: la question n'est pas de savoir qui va l'emporter, mais quand Harmonica va l'emporter. Dans le deuxième volet de la trilogie, cet aspect est repris à travers la révolution, qui gagne en ampleur au fil du film, alors que nos deux héros se retrouvent pris dans ce tumulte d'évènements dont ils ne parviennent pas à s'extraire.
Il était une fois en Amérique est un film marqué par le sceau de la nostalgie et du regret, materialisés par les flash-backs qui occupent une grande partie du film. Il était une fois la révolution amorce cette tendance, à travers les souvenirs de John, empreints de lyrisme, et où l'on retrouve un triangle amoureux similaire à celui formé par Noodles, Max et Deborah, également frappé par la trahison.
Pour évoquer brièvement le jeu d'acteurs, James Coburn est dans son meilleur rôle à egalité avec Pat Garrett et Billy le Kid, et sa phrase "Duck you, sucker" est demeurée célèbre. Rod Steiger campe parfaitement le personnage picaresque et comique de Juañ, obsédé par l'argent mais recélant des élans bien plus profonds.
Quant à la mise en scène, il n'y a évidemment que bien peu de choses à reprocher à Leone: on se rappellera notamment la scène de la calèche, des souterrains de la banque, ainsi que la bataille sur le pont (inspirée de l'esthétique de Giorgio de Chirico), les flash-backs de John qui parsèment le film et bien entendu la magnifique mais terrible scène d'exécution des révolutionnaires. Seule la scène de la découverte du charnier traîne en longueur sans apporter grand chose au film.
Enfin, je terminerais sur la musique d'Ennio Morricone, splendide (probablement la meilleure de la trilogie), sachant se faire entraînante (La Marche des Mendiants), nostalgique (le magnifique thème chanté des flash-backs et ses "Sean,Sean" obsédants), ou joyeuse (Scherzi a Parte). Ces différents thèmes ont d'ailleurs été repris de très belle manière par John Zorn plus tard.
Il était une fois la révolution constitue donc une œuvre grandiose, au message bien plus profond que les deux autres "Il était une fois...", servie par deux excellents acteurs au sommet de leur forme, une musique magique et une mise en scène exceptionnelle, autant de qualités qui font de ce film le meilleur de Sergio Leone et probablement l'un des plus sous-évalués de l'histoire du cinéma.