Il y a ceux qui ont peint un carré blanc sur fond blanc.
Il y a aussi ceux qui ont posé un urinoir sur un piédestal et en on fait une fontaine.
Et enfin il y a ceux qui ont fait d'une banale conserve de soupe un tableau à accrocher dans les galeries d'art...
C'était là toute la magie instaurée par l'art contemporain : déconstruire les représentations pour éduquer le regard ; montrer l'artifice pour mieux le faire conscientiser ; bref faire de l'art qui ne s'intéresse qu'à l'art en lui-même...
Si je prends la peine de préciser tout cela c'est bien évidemment parce que je vois de ça dans cette "Nuit américaine" de François Truffaut...
...Je ne vois même que ça, peinant à y voir autre chose.
Or le souci c'est qu'en 1973, faire un film qui ne cherche qu'à se questionner lui-même ça a d'une part déjà été fait ("Le Mépris", toi-même tu sais...) et surtout - d'autre part - ça ne suffit clairement pas pour tenir deux heures durant.
Bah oui : parce que c'est justement tout le problème avec la déconstruction dans l'art : si tu ne parviens pas à construire quelque-chose derrière, l'intérêt ne dure qu'un bref instant.
Car questionner l’œil c'est bien, mais donner à voir ça reste quand même mieux.
Aussi je ne retirerais certes pas à cette "Nuit américaine" du fait qu'elle dispose d'une belle scène d'introduction qui sait jouer d'une habile espièglerie par rapport au regard que nous portons sur les choses au cinéma.
De la même manière que je reconnaitrais fort volontiers que la conclusion parvient aussi à tirer quelque-chose de signifiant de tout ce dispositif...
Avec la mort d'Alexandre on découvre à quel point tout ce monde tournant autour de la falsification finit par produire des individus eux-mêmes déconnectés de toute réalité humaine. Malgré la perte d'un des leurs l'équipe reste sur son rail, avec la même précipitation et les mêmes préoccupations artificielles.
On continue de parler d'assurance, de temps de tournage, de remplacement d'acteurs.
Au final le film boucle sur lui-même, reproduisant *ad nauseam* la même scène, rendant chaque changement y compris de personne - totalement insignifiant.
Pourquoi pas...
Alors soit, entre l'introduction et la conclusion, voilà deux moments de dix minutes chacun qui ont su capter mon intérêt, mais entre ces deux extrémités j'ai clairement peiné à voir autre chose qu'une simple exposition du monde du cinéma.
Et l'air de rien tout ça dure une heure et demie, soit la durée d'un film entier.
Un film entier perdu en pure démonstration superficielle.
Des détails et déboires, rien de plus.
Une simple démarche nombriliste histoire de tout bien résumer la chose.
Et c'est d'ailleurs sûrement cette attitude qui m'a le plus exaspéré face à ce film : constater qu'au fond le cinéma peut ici se réduire à l'exposition de ceux qui le font et rien de plus.
Truffaut ne semble pas voir le problème. Le sujet fait la forme. La déconstruction fait l'édifice.
Ainsi n'est-il pas nécessaire de creuser puisque l'évocation suffit.
Et quand bien même la conclusion module-t-elle *in extremis* cet état d'esprit de fascination de soi, tout le reste du film n'est qu'autosatisfaction et autocitation ; la démarche trouvant son point d'orgue quand le personnage de Ferrand / Truffaut en vient à dégueuler presque littéralement ses références cinématographiques sur le table à grandes cascades de livres.
A bien tout considérer, ce film a finalement très bien choisi son titre : "la Nuit américaine".
La référence à l'artifice est évidente, mais il a fallu malgré tout que l'artifice qui a été choisi soit celui qui fonctionne le moins à l'écran, surtout dans les années 70.
Parce qu'en effet, à cette époque-là, la nuit américaine c'était quand-même un effet bien laid.
C'était même si mal fait que ça rappelait à chaque fois au spectateur qu'on était en train de regarder un film fait d'artifices, et cela quelle qu'en soit la qualité.
Voilà au fond qui résume très bien cette "Nuit américaine".
C'est un film factice. Mais comme il s'assume il faudrait y voir une différence.
Alors après tout pourquoi pas...
Si vous aimez contempler des carrés blancs sur fond blanc ou des réalisateurs filmer des caméras, faîtes-vous plaisir, la "Nuit américaine" c'est du cinéma fait pour vous.
Mais personnellement, j'avoue conserver une préférence pour des films qui privilégient le fait de lever les yeux vers l'horizon plutôt que de bêtement se reluquer le nombril.
...A chacun ses centres d’intérêt. ;-)