En 1974, après ses multiples réussites télévisées, Steven Spielberg signe enfin son premier vrai film de cinéma (Duel était à la base un téléfilm bien que diffusé au cinéma en Europe dans une version rallongée). Sugarland express est un road movie inspiré d’une histoire vraie (celle de Robert et Ila Fae Dent) se rapprochant des récents Bonnie et Clyde (Arthur Penn, 1967) et La Ballade sauvage (Terrence Malick, 1973) qui contaient déjà les histoires de couples en cavale.
Malgré ces influences, Steven Spielberg insuffle au récit son obsession principale à l’époque à savoir la séparation de ses parents puisque le film débute sur une scène où Lou menace Clovis (Gilbert en V.F.) de le quitter et surtout car la cavale des deux principaux protagonistes provient du fait qu’on leur retire la garde de leur enfant. Même si, dès le début, leur plan est clairement voué à l’échec (ce qui ne semble pas effleurer un instant l'esprit du couple en fuite) et donc à une fin dramatique, Spielberg arrive à aborder son histoire avec un ton assez léger pendant une bonne partie du film sans que cela soit inapproprié à son sujet. De plus, il se permet déjà de critiquer le comportement d’une partie du peuple américain en montrant des civils, se prenant pour des cow-boys (on peut clairement penser que le cinéaste, démocrate revendiqué, est opposé à la NRA et à la vente libre des armes à feu), qui cherchent à abattre eux-mêmes les fuyards et qui, au lieu de résoudre la situation, causent un nombre impressionnant de dégâts matériels et rendent le couple plus nerveux et donc plus à même de faire des victimes innocentes. En outre, Spielberg montre également la fascination purement américaine pour les délinquants en faisant nous traverser des villes où les habitants accueillent Lou et Clovis comme des héros (contrairement au père de Lou qui a honte d’elle et qui n’a aucune compassion à son encontre).
En plus d’insuffler des thématiques personnelles, Steven Spielberg fait déjà preuve d’une mise en scène maîtrisée de bout en bout qui reste discrète même dans ses effets de mise en scène (un rétroviseur sert à créer un split screen, un reflet dans le pare-brise est utilisé pour faire un effet de surimpression d’un dessin animé diffusé dans un drive-in sur le visage de Clovis…), à l’exception peut-être de l’insertion du plan quasi-subliminal de l’explosion de ce cartoon (effet plus voyant mais qui ne choque aucunement). Sugarland express permet également de montrer le talent du cinéaste pour filmer les scènes d’action (elles sont rares mais très réussies), sa capacité à gérer des foules (ici présentes sous la forme d’un nombre impressionnant de voitures de police) et sa compétence en tant que directeur d'acteurs (Goldie Hawn estime d'ailleurs que le personnage de Lou reste son meilleur rôle). Après Duel (œuvre dont le plan final est fortement rappelé par les deux derniers du présent film), Steven Spielberg montre à nouveau qu’il sait parfaitement filmer les road movies (genre vers lequel il ne reviendra plus dans sa carrière).
Enfin, il faut noter que Sugarland express a inauguré également une collaboration essentielle de son cinéma : celle avec le compositeur John Williams qui choisit pour l’occasion de signer une bande originale volontairement assez discrète (à l’opposé de l’idée première du cinéaste qui souhaitait une partition plus symphonique), ce qui explique sa faible notoriété.
Ainsi, Sugarland express, bien qu’il fasse partie des œuvres les moins connues du cinéaste, est déjà une belle réussite (récompensée du Prix du scénario au Festival de Cannes en 1974) qui a été très rentable (presque 12,8 millions de dollars de recettes pour un coût entre 2 et 3 millions) même si elle est loin d’être un succès commercial colossal. Steven Spielberg devra attendre pour cela le film suivant : Les Dents de la mer.