José Giovanni constitue un cas assez unique au sein du cinéma français d’Après-Guerre. Joseph Damiani (son vrai nom d’origine corse) est né en 1923. Ses parents sont propriétaires de deux grands hôtels à Paris. Son père convaincu d’escroquerie précipite sa famille dans le besoin. S’ensuit pour le jeune homme un parcours qui entremêle étroitement sympathie vichyste et grand banditisme. A la Libération, Giovanni est condamné à dix ans de réclusion. Amnistié en 1951 par le Président Coty, il entame une carrière d’écrivain puis de scénariste et enfin de réalisateur (15 films entre 1967 et 2001). Essentiellement des films d’action et policiers. “Dernier domicile connu” qu’il tourne avec Lino Ventura juste après leur collaboration sur “Le Rapace” (1968) est sans doute son film le plus abouti et le plus convaincant. Il adapte un roman éponyme de l’écrivain américain Joseph Harrington paru en 1965. Un roman se passant à New-York qu’il transpose à Paris. Aucun réalisateur ne trouvant crédible le scénario, Lino Ventura convainc Giovanni de passer derrière la caméra. Le choix de Marlène Jobert pour incarner la jeune policère débutante débarquant de province et accompagnant le commissaire, blanchi sous le harnais, incamé par Ventura dans la recherche d’un témoin capital pour le procès d’un mafieux notoire, s’avérera capital dans la réussite du film. Pourtant en raison du retard pris pour des problèmes de droit sur le roman, l’actrice en plein tournage du “Passager de la pluie” de René Clément hésite, ne se sentant plus en phase avec le personnage. Claude Sautet persuade Marlène Jobert de sauter le pas. Bien lui en a pris, car avec “l’Astragale” et “Le passager de la pluie”, “Dernier domicile connu” achève de la crédibiliser comme actrice dramatique. Giovanni emmène le spectateur dans le Paris de la fin des années 1960 alors que la ville est en pleine mutation avec les immenses tours qui commencent à cerner sa toute proche périphérie. A plusieurs reprises, Giovanni marquera la transition qui s’opère notamment quand les deux flics croyant trouver enfin le fameux témoin disparu dans un immeuble vétuste, débouchent après avoir poussé la lourde porte d’entrée sur un terrain en friche. En rupture le film, l’est aussi avec cette enquête qui se fait presque exclusivement à pied sans violence et au moyen du patient et fastidieux questionnement des concierges, commerçants et autres voisins. On est donc loin de “Bullit” de Peter Yates avec Steve Mac Queen qui avec sa dantesque course poursuite dans les rues de San Francisco, avait révolutionné le genre policier. Mode qui n’avait pas tardé à débarquer en France via Gérard Oury qui quelques mois plus tard avait emboîté le pas de Yates avec “Le cerveau” . “Dernier domicile connu” reste tout de même passionnant notamment avec, comme on l’a dit, la vision nostalgique que livre Giovanni d’un Paris en train de disparaître mais aussi avec l’étude très fine des rapports qui se tissent entre le vieil ours blessé qui ne se fait plus guère d’illusions sur l’institution qu’il sert fidèlement depuis près de trente ans et la jeune provinciale novice venue là un peu par hasard. Des rapports qui vont évoluer au fur et à mesure de l’enquête qui progresse difficilement, nécessitant une cohésion rapide du duo, le commissaire ayant compris que la mise à l’épreuve traditionnelle ne sera pas le meilleur moyen de tirer tout le parti d’une jeune collègue s’avérant rapidement passionnée et perspicace mais aussi très émotive. Une galerie de portraits pittoresques jalonne cette déambulation parisienne magistralement rythmée par la musique de François de Roubaix qui livre ici certainement sa plus belle partition, parfaitement distillée par Giovanni qui la place aux moments opportuns. Marlène Jobert comme la jeune policière qu’elle incarne montre qu’elle n’a pas froid aux yeux donnant parfaitement la réplique à un Lino Ventura comme toujours juste, abandonnant judicieusement par instants, le tempérament bougon qu’on lui connait pour laisser parler l’humanité qui se dégage de ce flic en perte de sens et retrouvant pour un temps la fraîcheur de ses débuts à travers les craintes et les hésitations de sa jeune partenaire. Malgré une fin très engagée, sans doute teintée de vérité mais aussi un peu manichéenne et outrancière, “Dernier domicile connu” est un très bon film de José Giovanni, qui inaugure avec maestria la très grande décennie à venir du film policier français.