Gremlins est une œuvre singulière qui mêle audace créative, satire sociale et une bonne dose d’humour noir. Réalisé par Joe Dante et produit sous l’égide de Steven Spielberg, ce film est à la fois un divertissement emblématique des années 1980 et une exploration des méfaits de l’irresponsabilité humaine. Cependant, malgré des moments brillants et un sens du spectacle indéniable, Gremlins n’échappe pas à certaines maladresses qui limitent son impact global.
Dès ses premières scènes, Gremlins instaure une atmosphère intrigante avec son prologue dans une boutique mystérieuse de Chinatown. Cette introduction, bien que captivante, donne un ton sérieux que le reste du film peine parfois à maintenir. Le mogwai Gizmo, au cœur de l’intrigue, est une création adorable et attachante, incarnant l’innocence face à un chaos imminent. La voix de Howie Mandel donne à Gizmo une personnalité unique, et sa candeur contraste de manière saisissante avec la sauvagerie destructrice des gremlins. Pourtant, ce même Gizmo semble souvent relégué à un rôle passif, ce qui est frustrant tant son potentiel narratif est immense.
Sur le plan humain, les personnages, bien qu’efficacement interprétés, manquent de profondeur. Zach Galligan, dans le rôle de Billy Peltzer, est un protagoniste sympathique mais peu mémorable. Son parcours manque d’évolution significative, et sa romance avec Kate (Phoebe Cates) est abordée de manière superficielle. La tentative d’enrichir le personnage de Kate avec une anecdote tragique concernant son père est audacieuse, mais son ton maladroit la rend plus étrange que poignante. Ces lacunes laissent une impression d’inachevé, comme si le scénario avait choisi de privilégier le spectacle au détriment de la substance.
Visuellement, le film est une prouesse pour son époque. Les marionnettes et animatroniques utilisées pour les mogwais et les gremlins, bien que parfois limitées dans leurs mouvements, parviennent à donner vie à ces créatures avec une étonnante efficacité. Les scènes où les gremlins envahissent la ville regorgent de détails amusants et de chaos maîtrisé. La séquence dans laquelle les gremlins s’amusent dans un cinéma, en regardant Blanche-Neige et les sept nains, est un point culminant : elle allie une absurdité comique à un sous-texte critique sur la société de consommation. Cependant, certaines scènes d’effets spéciaux ont mal vieilli, ce qui peut distraire un spectateur contemporain.
La bande-son de Jerry Goldsmith est un autre point fort du film. Son utilisation intelligente de thèmes musicaux joue un rôle essentiel pour établir les contrastes de ton, allant de la douceur mélodique de la chanson de Gizmo à des passages plus frénétiques et chaotiques accompagnant les méfaits des gremlins. Cependant, cette partition vibrante ne parvient pas toujours à masquer les transitions tonalement maladroites du film, qui vacille parfois trop brusquement entre comédie et horreur.
Le scénario de Chris Columbus, bien que fondé sur une idée originale, souffre d’un manque de cohérence et d’explications. Les fameuses règles entourant le mogwai – pas d’exposition à la lumière, pas de contact avec l’eau, et ne jamais nourrir après minuit – sont intrigantes mais laissées trop ouvertes à l’interprétation. Ces ambiguïtés, bien qu’elles alimentent le mystère, peuvent également frustrer. De même, si les scènes de chaos gremlin sont souvent divertissantes, elles finissent par manquer de direction narrative claire, diluant l’intensité dramatique du récit.
Un des aspects les plus intéressants de Gremlins est sa critique subtile mais constante de la société moderne. Les gremlins eux-mêmes, avec leur penchant pour la destruction absurde, sont une caricature des excès humains. La scène mémorable où Mrs. Deagle, la caricature de l’avarice capitaliste, est éjectée de manière grotesque par son fauteuil motorisé, incarne parfaitement cet humour noir. Cependant, le film échoue à exploiter pleinement ce commentaire social, souvent éclipsé par les excentricités des gremlins.
Le rythme du film est un autre sujet de débat. Si la première moitié, axée sur la présentation de Gizmo et l’instauration des règles, est captivante, la seconde moitié s’embourbe parfois dans une répétition de gags visuels. La progression narrative devient presque secondaire face à l’accumulation d’éléments spectaculaires, ce qui affaiblit l’impact émotionnel du climax. La confrontation finale, bien que visuellement impressionnante, manque de tension réelle en raison de l'absence d’enjeux clairement établis.
Enfin, le message final, véhiculé par M. Wing lorsque Gizmo lui est restitué, est à la fois pertinent et prévisible. L’avertissement sur les conséquences de l’irresponsabilité humaine résonne, mais il est présenté de manière trop didactique pour avoir l’impact désiré. Ce choix reflète une volonté de moraliser un récit qui, jusque-là, brillait justement par son chaos ludique.
En conclusion, Gremlins est une œuvre mémorable qui parvient à divertir grâce à son originalité, son humour noir et ses prouesses techniques. Cependant, ses faiblesses narratives, ses personnages humains sous-exploités et ses transitions tonales hésitantes l’empêchent d’atteindre une véritable excellence. C’est un film qui, malgré ses imperfections, reste un classique imparfait mais indispensable, capable de captiver tout en laissant une impression de potentiel inexploité.