Tristan Seguela nous propose avec « Mercato » un plongée de 2h dans les coulisses du football d’aujourd’hui, où il est peu question de ballon et des maillots, mais beaucoup plus de billets et de commissions. 2 heures sous la forme (peu originale mais efficace) d’un compte à rebours avec pour point final, la dernière heure du dernier jour du mercato. Le générique de début est intriguant car, sur fond de Mozart,
nous suivons le parcours d’une langouste, des fonds marins jusqu’à l’assiette d’un homme dont la mort bouleverse le petit monde des agents de joueurs
. On n’a beau être devant un panier de langoustes, c’est pourtant bien au milieu d’un panier de crabe que l’on va passer deux heures pied au plancher aux côtés de Driss. Aucune scène sans lui, la dramaturgie tourne entièrement autour de lui, de l’épée de Damoclès au dessus de sa tête et de ses efforts désespérés pour conclure le deal qui va le tirer d’affaire. Montage dynamique, musique sympathique (un tout petit peu forte dans certaines scènes, parfois un peu envahissante aussi) ; « Mercato » nous fait parcourir le petit monde du football professionnel : Salzbourg, Madrid, Riyad, Lille, Driss fait des sauts de puces :
ici un gamin d’à peine 12 ans à refiler à un centre de formation autrichien, là un joueur placardisé à faire signer en ligue 1, un autre à influencer pour qu’il ne signe pas à la place de son poulain, etc…
Heureusement que l’humour du film fait parfois franchement sourire (quelques clins d’œil pour qui connait un peu le football) car pour le reste, c’est un film assez noir. Dans sa forme, je ne vois pas trop quoi redire. Côtés casting, Djamel Debbouze crève l’écran : agent dépassé, roublard et menteur, père défaillant, parfois flamboyant mais souvent pathétique, il donne 200% dans ce rôle et il le tient très bien. Grace en grande partie à lui, à son engagement total pendant 2h, le film passe tout seul et tient la route. Il va en enchainer des déceptions :
il manipule mais il est aussi trahit, par des footballeurs versatiles et égoïstes, par des parents aveuglés par le talent de leur gamin, par l’entourage parfois toxique des grands joueurs. Les jours défilent, le gros deal qui le sortira d’affaire se dérobe à lui sans cesse, les moments de découragement se succèdent.
A ses côtés, je souligne la performance d’un jeune comédien, Milo Machado-Graner. Il incarne Abel, le fils de Driss : 15 ans, anticapitaliste, écolo, végétarien, décroissant, il juge du haut de son âge tout ce qui l’entoure avec des phrases sentencieuses et un petit air condescendant, ce qui ne manque pas de donner lieu à quelques échanges de mots bien sentis avec son paternel. Les autres seconds rôles sont plus attendus et encore moins subtils : les méchants sont très méchants, les stars du foot sont des têtes à claques, les bimbos à leurs bras ne sont pas non plus très futées. C’est peut-être le talon d’Achille du film : l’écriture à la serpe et paresseuses des seconds rôles. Le scénario fait feu de tout bois, sous prétexte de nous immerger dans un monde qu’on croit connaitre et qui fait fantasmer le grand public, il ratisse large. Traquenards vaguement inspirés par l’affaire Kanté (ou l’affaire Pogba, plus médiatisée encore), pression financière exercée par l’Arabie Saoudite pour s’approprier le football mondial, « loftisation » (pas sure que le mot existe, mais j’ai du l’entendre une fois ou deux sur l’Equipe 21 !) de joueurs sous contrats, frénésie des dernières heures du mercato, entourage des joueurs à la moralité douteuse, gamins d’à peine 12 ans que l’on exile loin de chez eux bien trop tôt, tous les effets pervers du foot business passe à la moulinette du scenario. C’est instructif (même si on ne tombe pas de sa chaise non plus), c’est un peu déprimant si on aime le football mais ça a le mérite d’être crédible, parfois douloureusement.
Forcément, faire peser tout le destin de Driss sur les dernières secondes du film et laisser sous entendre qu’un petit but peut changer une carrière entière, ça peut paraitre un peu léger de prime abord. Mais c’est vrai aussi que certains buts ont changé une carrière, et que certains gestes ratés ont presque détruit des carrières. Alors, peut-être cette fin n’est pas aussi improbable qu’on pourrait le penser.
« Mercato », film sur le football qui montre bien peu le ballon, est un thriller efficace qui, en dépit de ses quelques défauts, tient plutôt bien la route, en grande partie grâce à un Djamel Debbouze très investit.