Il faut parler de Jeff Nichols.
Il faut parler de The Bikeriders.
Avec sa courte mais incroyable filmographie, Jeff Nichols a su prouver en 6 films seulement, qu'il était un véritable artisan du détail. Il s'infiltre d'abord pour mieux faire un pas de côté ensuite et ainsi observer son objet d'étude avec le plus de hauteur possible.
Façonneur de nuances, il cherche à dénicher l'extraordinaire dans l’anti-spectaculaire, le détail dans la masse, le silence dans le brouhaha. Pour lui, la violence n'empêche pas le lyrisme et la simplicité n'exclut jamais la complexité. L'essentiel est ailleurs. Dans ces histoires et personnages oubliés. Il regarde frontalement cette autre Amérique, celle qu'il connaît le mieux, lui-même né et citoyen de l'Arkansas. L'Americana n'est plus simplement un genre cinématographique, mais bien une composante centrale de sa vie et de son œuvre.
Avec des alliés comme son ami David Gordon Green, ils sont les véritables relais de réalisateurs du mid-west, et on participé à véritablement faire émerger un nouveau pôle cinématographique Américain, entre Los Angeles et new York.
Profondément humain, tout son début de carrière soulignait en sous-texte les craintes qui pavaient son existence : trouver sa voie, être un bon mari puis un bon père de famille.
Même s'il reste cohérent, il aborde sans fard des thématiques et styles variés : Du road-movie, en passant par le drame, le fantastique ou encore la science-fiction.
Mais alors qu'en est-il de The Bikeriders ?
Alors que je suis habitué et un convaincu de Nichols, lorsque le générique est apparu, j'avais l'intime conviction d'avoir vu un bon film, mais j'avais un sentiment de trop peu. J'ai donc laissé cogiter tout cela. Le lendemain, avant de dormir, je me suis adonné à un de mes exercices préférés, je me suis repassé en tête les images du film. Et là, j'ai compris : C'était bien un film de Nichols.
Si le 𝐬𝐡𝐨𝐰 𝐝𝐨𝐧'𝐭 𝐭𝐞𝐥𝐥 est un élément capital de tout bon cinéma, le Show ne doit en aucun cas rogner l'espace pour l'esprit et l'imaginaire. Et c'est tout, c'est, il est question dans ce film :
Derrière cette impression de trop peu, se cache en réalité la plus grande qualité du film : celle de ne justement pas trop en faire, de ne pas tout montrer, de ne pas sur-expliquer et surligner au marqueur, en un mot, la retenue. La simplicité de l'histoire, en apparence, laisse rapidement place à un nombre d'éléments et de thématiques fortes :
- Parler du sentiment d'ennui et d'abandon d'une population perdue et sans objectifs précis.
- Le fait de créer l'unité et l'appartenance à quelque chose qui nous dépasse avec la création du club de moto (purement ludique dans un premier moment).
- Trouver la force de se surpasser dans le nombre, même si le groupe est constitué individuellement d'individus fragiles et peu téméraires.
- La rivalité social et culturel entre les marginaux laissés pour compte et les personnes éduquées notamment.
- La force et l'ampleur que peut prendre une idée lorsqu'elle devient un mouvement, personnifié par un leader charismatique : Qui peut même nous faire tomber amoureuse d'un mode de vie résolument différent du sien.
- Puis sa perte de contrôle, lorsque la bête déborde de sa cage et que l'on doive découvrir les limites, lorsqu'on touche le feu d'un peu trop prêt : La terrible scène dans laquelle Kathy échappe au viol collectif, in extremis.
- L'insurrection qui guette toute société dans la société, qui sous couvert de liberté absolue, se voit devenir incontrôlable : Le jeune incontrôlable qui va jusqu'à tuer son idole, en quête de pouvoir et d'identité. Il avait déjà prouvé sa non-loyauté lorsqu'il avait jeté ses camarades à la première occasion de rejoindre les Vandals.
- La place d'une femme forte et du couple dans le collectif.
- Le questionnement lié au fait de pouvoir éteindre sur commande la flamme qui anime tout un être (ce sublimissime regard final du couple, surplombé par le vrombissement des motos).
La liste est déjà bien longue, mais autant d'éléments qui prouvent toute la richesse thématique du film. Toute surenchère aurait pu mettre en péril a bonne tenue du film, et aurait trop lorgné du côté de maître Scorsese. Nichols réussit alors son pari, en s'emparant des codes du film de gang, du film de chute du héro tout en gardant ses obsessions, son style et sa vision, bref, la marque des grands cinéastes. On aurait pu attendre autre chose, mais cela aurait été un autre film. Au final, j'aime cette proposition, dont le dosage en fait un pur film de son auteur.
La seule chose que j'aurais faite différemment :
c'est que j'aurais laissé couler les larmes de Benny, face caméra dans le bar et non dans les bras de sa femme, pour montrer que même en public, il faudrait bien un électrochoc pour percer cette carapace.
Le casting est remarquable, Butler, Comer, Hardy en tête : L'acting, et le jeu sur les accents et impeccable. On y retrouve aussi (pour mon plus grand plaisir) Micheal Shannon, l'acteur fétiche de Nichols mais aussi David Wingo, son compositeur attitré.
Le plus cool en réalité avec The Bikeriders, c'est que vous aimiez ou non l'univers des motards importe peu, vous y trouverez votre compte !
Vivement la prochaine proposition, qui arrivera espérons-le plus vite qu'au bout de 7 longues années... Mais après tout, si c'est le prix à payer pour une expérience à la qualité renouvelée ?