Saltburn convoque trois sous-genres cinématographiques issus de la série B pour mieux les détourner en s’y soustrayant : le film de fraternité collégiale, avec son personnage de parvenu intégré dans son université à un groupe huppé tout en percevant une finalité railleuse voire humiliante, le jeu de massacre, avec un personnage jeté dans une arène dont il ne connaît pas les règles – le flirt avec le fantastique, mobilisant la pleine lune, la consommation de sang et la disparation de convives ne sont pas sans évoquer Get Out (Jordan Peele, 2017) ou Ready or Not (Tyler Gillett, Matt Bettinelli-Olpin, 2019) –, le revenge movie enfin, orchestrant la punition des riches par le prétendu pauvre sans que celle-ci n’advienne graphiquement par un déchaînement de violence. Sur ce point, la confusion desdits genres fonctionne assez bien, participe à une segmentation du récit en trois chapitres implicites qui résonnent les uns avec les autres tout en laissant le spectateur dans une position instable.
Pourtant, la réalisatrice, déjà responsable du piteux Promising Young Woman – elle s’en sort mieux ici ! –, ne peut s’empêcher de sauter à pieds joints dans la vulgarité, cherchant à tout prix à heurter la sensibilité du public par des scènes complaisantes dans les tourments sentimentaux de son protagoniste : fallait-il représenter
un cunnilingus ensanglanté ? la consommation de l’eau du bain dans laquelle a éjaculé l’être aimé ? la pénétration de la tombe du défunt amant ?
La clausule, plan-séquence de prétendue libération, orchestre une chorégraphie nue sans que celle-ci ne vienne couronner une quelconque revanche, et Emerald Fennell a si bien brouillé les pistes deux heures durant qu’elle recourt à un sommaire de scènes antérieures qu’elle révèle dans leur malignité cachée… Subterfuge grossier, qui réduit Saltburn au décevant tour de passe-passe d’une apprentie magicienne, loin de la puissance exigée par ce qu’Alberto Savinio nomme, dans son magnifique roman Ville, j’écoute ton cœur (1944), la « monstruosité des amours entre inégaux », ici explicitée par le symbole du labyrinthe.