Peu de cinéastes débutants ont su frapper deux fois aussi fort et à la suite par l’entremise d’un premier puis d’un second long-métrage. Et bien on peut aisément ajouter Emerald Fannell dans cette liste pas forcément très longue. Après l’excellent et étonnant « Promising Young Woman » qui lui a valu l’Oscar du meilleur scénario et qui traitait dans un écrin fluo et délicieusement acidulé du patriarcat et de la culture du viol dans certains milieux de manière surprenante, voilà qu’elle nous revient avec quelque chose de très différent via ce « Saltburn ». Située intelligemment au milieu des années 2000, avant que les smartphones intelligents et les dérives de l’Internet ne soient monnaie courante, elle nous convie à la prestigieuse université d’Oxoford où deux adolescents vont faire connaissance : un très riche (et très bel) aristocrate, Félix, et un jeune boursier timide, Oliver. Par l’entremise de ce dernier invité par le premier on va pénétrer le temps d’un été dans le quotidien d’une richissime famille de nantis britanniques. La critique, voire la satire, des ultra riches est présente mais elle enfonce des portes ouvertes quand bien même elle régale et s’avère très pertinente, c’est-à-dire pas trop poussive et tout de même incisive.
Néanmoins, on aurait tort de croire que ce film va être un film étudiant ou un teen-movie british. On en est loin, très loin. Et même si une critique des nantis de ce monde à la « Succession » semble être le sujet de cette chronique, il se cache (bien) d’autres choses dans « Saltburn ». Une étude de caractères et de comportements, un film sur la manipulation, une œuvre sur l’envie d’être quelqu’un d’autre – voire l’envie tout court - et une fausse romance amicale qui pourrait faire penser dans ses débuts à « Call me by your name ». Surtout dans l’esthétique estivale et légèrement passéiste et dans la manière dont Fennell filme cet été chez les bourges et leur oisiveté. Certaines séquences, surtout celles de groupe, sont jouissives tant ces êtres semblent déconnectés de tout et leur façon de penser et d’agir appartenir à une autre galaxie. On rit (jaune) assez souvent et il y a aussi pas mal de scènes assez dérangeantes comme celle de la baignoire.
L’une des plus grandes forces du film demeure dans son esthétique un peu vintage, à la photographie s’assimilant à de l’argentique. La composition des plans est également très travaillée nous offrant de très nombreuses images qui frappent la rétine par leur beauté. De l’éclairage à la manière dont Fennell filme son impressionnant décor, c’est une œuvre plastiquement irréprochable pour qui goûte à ce type d’univers et à ces effets de style. Sans jamais copier qui que ce soit et comme dans son précédent film, la jeune cinéaste impressionne allant jusqu’à utiliser le symbolisme à bon escient. Quant au casting, il est aussi royal qu’excellent. Barry Keoghan (potentiel futur Joker de la nouvelle saga Batman), réitère le coup après son mémorable second rôle (et nommé à l’Oscar) dans le chef-d’œuvre « The Banshees of Inisherin ». Ici il investit un rôle complexe, nébuleux et dont les facettes multiples se dévoilent au fur et à mesure. On n’en dira pas plus mais il est stupéfiant. Rosamund Pike est géniale en aristocrate à l’ouest et Carey Mulligan ne fait que passer mais elle est très drôle. La surprise vient surtout de Jacob Elordi. Après des niaiseries sur Netflix, le beau gosse de la série « Euphoria », tout aussi sublime ici, se montre plus à l’aise dans ce rôle qu’en Elvis Prestley dans le « Priscilla » de Coppola. Son charme magnétique ravageur emporte tout sur son passage et Fennell le sait, le sent et lui rend la pareille dans sa manière de le filmer.
« Saltburn » dure plus de deux heures que l’on ne voit pas passer. La mise en place pourra paraître longue avant d’entrer dans le vif du sujet mais c’est pour mieux poser la psychologie de ses personnages principaux et fixer les enjeux. Une fois entré dans la demeure gigantesque filmé comme un personnage à part entière (l’inattendu plan-séquence final) et que ne renierait pas un film d’horreur comme « La Maison du Diable » ou son piteux remake « Hantise », c’est délectable de bout en bout. Le scénario est peut-être le seul talon d’Achille du film puisqu’il a un goût de déjà-vu avec un personnage a priori naïf qui va découvrir les méandres des ultra riches entre luxure, folies et codes absurdes. Il s’avère linéaire et peu surprenant et c’est davantage les dialogues qui pimentent la chose ainsi qu’une atmosphère vénéneuse du meilleur effet. En revanche, le twist final et la dernière ligne droite peuvent laissent un peu circonspects. On hésite à trouver cette direction que prend le film inutile ou alors génialement amorale. Mais pour le reste c’est un coup de maître et un coup de cœur!
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