Un monde nouveau est né sous nos yeux, le monde des masques et des monstres, des nouvelles peurs et des nouveaux genres. Pour le montrer, il fallait un cinéaste critique, sarcastique, un Dino Risi “hors système”, sans subventions ni promotion, un cinéaste marginal dans un milieu où tout le monde dit l’être ; il s’appelle Laurent Firode et il a filmé “Le Monde d’après”.
C'est un “film choral”, comme on dit, à vingt-deux personnages, que les Parisiens pourront voir, tous les jours à treize heures, au très chic Saint-André-des-Arts.
Lors de la projection de presse, les pompiers, appelés en urgence, ont secouru plusieurs journalistes, pris de convulsions et de nausées ; ils bavaient un peu, aussi. Ranimés, ils ont couru écrire leurs éloges. “Le Monde d’après” a donc été couvert de fleurs par “Première” (“répliques fétides”*), par Téléramen (“réactionnaire sur le féminisme”**), par avoir-alire.com (“galerie de personnages hirsutes”***). Il y a deux sortes de compliments : les compliments, et les insultes des magazines de curés.
“Le Monde d’après” raconte une soirée d’hiver 2022, dans un immeuble ; on y découvre neuf situations, cocasses ou inquiétantes, qui évoquent toutes les formes de fanatisme actuel (sanitaire, climatique, woke, religieux) ; ils mènent jusqu’à une scène paroxystique, et paradoxalement apaisante, très jolie, émouvante. Tous ceux que ce monde fou ne plonge pas dans l’allégresse trouveront avec ce film des raisons d’en rire, et c’est l’essentiel : dès que l’on rit, on tient ce monde à distance, comme on tient un crucifix devant un vampire.
Il faudrait dire un mot des comédiens, qui forment depuis des années une véritable troupe autour de Laurent Firode. On voudrait tous les nommer, tant ils savent être drôles et inquiétants. Je retiens particulièrement Patrick Dross et Éric Perez, hilarants tous les deux, l’un en dérangé sanitaire, l’autre en dégenré grammatical ; Jean Michel Marnet qui transporte partout avec lui une sorte de fatalité inquiète, celle de l’homme dépassé par la folie d’un monde avec lequel il doit composer ; et Irène Ismailoff, qui doit être à moitié russe tant elle sait rendre comme personne la vertu menaçante : un sourire lui suffit pour illustrer les dangers de la bienveillance.
* Le malheureux journaliste, encore sous le choc, écrit aussi “l’ère du temps”...
** Calomnie. Le film est réac de bout en bout et sur tous les sujets.
*** Plusieurs personnages sont rasés, ou frappés d'alopécie, quand ils ne portent pas les cheveux courts, voire des perruques de cheveux lisses. Serait-il possible que le critique ignorât le sens du mot “hirsute” ?