Dès la première scène, quand le personnage d'Odile Jouve s'adresse directement au spectateur, on pense bien sûr à la Nouvelle vague, qui s'amusait régulièrement à faire tomber le quatrième mur pour mieux marquer sa rupture avec le réalisme et la vraisemblance. Mais si le procédé est repris à la fin du film, ce qui se passe entre les deux n'a rien à voir avec la Nouvelle vague ni avec les premiers films de Truffaut. On pense plutôt à un film policier. Dès les premières secondes, avant le long flash-back qui constitue l'essentiel de La Femme d'à côté, Truffaut annonce ouvertement la couleur grâce à un plan aérien montrant une voiture de gendarmerie qui sillonne un petit village, sur un fond musical inquiétant signé Georges Delerue (Jules et Jim ou Le Mépris, entre autres). Dans ce village, Bernard (Depardieu) voit revenir Mathilde, un amour de jeunesse, qui s'installe juste en face de chez lui. Tous deux mariés depuis, ils font comme si de rien n'était et s'observent en chiens de faïence, depuis leurs fenêtres respectives. A l'intérieur de ce cadre de film noir, Truffaut choisit d'ouvrir une autre piste. Entre chambres d'hôtel, rendez-vous secrets, apartés et mensonges, le film s'offre rapidement comme une version alanguie et passionnelle de la comédie de remariage, ce sous-genre qui voit un couple modèle faire face au désir extra-conjugal, voler en éclats, puis se reformer, débarrassé de sa naïveté première. Là encore, La Femme d'à côté déjoue les attentes, ou plutôt les déborde et les déplace. Les deux genres se mêlent sans jamais s'exclure, et semblent finalement servir d'écrin à la troisième strate du film, la plus discrète et la plus passionnante. Ce troisième niveau de lecture, c'est celui qui fait de Mathilde, bien plus qu'une femme fatale ou qu'une voisine désirable, le réceptacle d'un désespoir qui se cristallise peu à peu et que le film accompagne avec une subtile (et implacable) précision.
On comprend vite que Mathilde a connu la dépression nerveuse par le passé, mais c'est le lent et tragique mécanisme de sa rechute que filme ici Truffaut. Tous les "à-côté" du scénario font signe vers cette rechute, que ce soit la béquille avec laquelle se déplace Odile Jouve (séquelle d'une tentative de suicide causée par un amour malheureux), les livres pour enfants que dessine Mathilde (et dont on ne voit qu'une planche: un enfant blessé entouré d'une mare de sang) ou cette petite communauté de bourgeois de province, dont les manières policées semblent étouffer d'elles-mêmes le moindre soupçon de subversion (la robe déchirée de Mathilde ou la crise de rage de Bernard sont aussitôt annihilées par l'indifférence du groupe).
Comme un jeu de poupées russes, La Femme d'à côté dévoile ainsi peu à peu le cœur tragique de cette histoire d'amour fatal. Plus qu'un film sur une "femme d'à côté", une jolie voisine venue perturber la situation initiale, c'est un film sur toutes les "femmes d'à côté", Odile Jouve, Mathilde, mais aussi la Rosemary de Polanski ou la Jasmine de Woody Allen. Un film sur ces femmes mises de côté, dont le désespoir est à la fois causé et étouffé par un monde d'hommes restés sourds à l'ampleur de leurs espoirs et de leurs sentiments.
Critique détaillée ici: https://www.espace-critique.fr/critique-la-femme-d-a-cote/