Si « un film, c’est avant tout un documentaire sur les acteurs », adage bien connu qu’a repris à son compte, entre autres, le réalisateur Emad Aleebrahim Dehkordi au micro de France Culture, Les Volets verts en constitue peut-être la quintessence, tant il se donne à voir comme le bilan de santé physique, médiatique et culturel de Gérard Depardieu qu’avait récemment ausculté Patrice Leconte dans son Maigret (2022). Le comédien s’y dévoile sans concessions, dans des excès qu’il n’excuse jamais mais qui témoignent d’un sentiment de lassitude existentielle ; l’absence occupe une place essentielle, celle de la femme aimée dont le cœur est pris ailleurs, celle d’une génération marquée par l’insouciance qu’ont remplacée les turpitudes d’un présent difficilement habitable, sinon dans les incessants déplacements en voiture. Absence comblée le temps des diverses représentations artistiques.
Il n’est pas anodin que le personnage de Jules Maugin manque de succomber à une
crise cardiaque
en écoutant le concerto pour clarinettes de Mozart, qu’il déclare son amour à Alice par le biais d’une chanson de Serge Reggiani, « Il suffirait de presque rien », qu’il courtise encore et encore Jeanne Swann au théâtre, quelles que soient les pièces interprétées… L’art est un biais pour vivre avec les autres, dire l’amour et oublier un peu sa condition, biais qui conduit à un dérèglement de tous les sens, éloignant toujours plus d’une réalité décevante, en témoigne la chute libre de Maria, la maquilleuse personnelle de Jules Maugin qui maquille littéralement les apparences pour ne laisser transparaître au travail qu’une vive énergie, avant de venir demander de l’aide à domicile.
Il n’y a de plaisir et de vie que dans la représentation, dans le rôle que l’on se crée au contact d’autres rôles, qui exigent lucidité et maîtrise de soi, et qui se saisit d’œuvres comme autant de supports offerts à une appropriation et à un partage : la belle séquence au restaurant orchestre le passage de la réalité terne – « on n’a plus de blanquette de veau » – à la fiction pimpante, lorsque Depardieu déclame par cœur les différents plats proposés sur la carte. Le choix des années 70 transpose les comédiens d’aujourd’hui dans une époque d’autrefois pour, à juste titre, rendre possible ce dialogue et les engager dans le processus de représentation : ils marquent tous l’écran par leur élégance et par leur résistance au temps, chacun s’étant construit un univers sous forme d’échappatoire qu’incarne la villa aux volets verts.
La facture classique du long métrage, fidèle au cinéma de Jean Becker, offre une force tranquille cohérente. Un beau film.