Secrétaire atteinte de surdité et dépourvue d’aspérités, Carla est figée, piégée dans son rôle, au sein d’une entreprise devenant sa prison. De la prison, Paul, ancien braqueur interprété par Vincent Cassel, en ressort tout juste. Dans Sur mes lèvres, Jacques Audiard entremêle le destin de ces deux marginaux. Contraste brutal, rencontre fatale. L’élément perturbateur, Paul, intervient rapidement dans la vie de Carla, en devenant son stagiaire. Tous deux rêvent de se sentir vivre, de fuir le vide et de trouver une réelle identité. Carla veut quitter la stabilité, et Paul fait tout pour la retrouver. Les deux corps se cherchent et se toisent, et finissent par voir leur idylle troublé par leurs démons du passé. Le chemin vers la liberté est parsemé de tumultes. Emmanuelle Devos, récompensée par un César, retranscrit avec justesse les doutes intimes d’une femme qui n’a jamais rien essayé. Vincent Cassel, lui, demeure aussi percutant que dans Mesrine de Jean-François Richet (2008), et nous donne à voir un bandit aux songes infinis. Couleurs ternes, atmosphère grisâtre : une tempête s’annonce sous le ciel de la Ville Lumière, le banditisme fait suite à l’immobilisme. La caméra de Jacques Audiard suit les personnages agités avec habilité, grâce à des mouvements saccadés et des plans caméra-épaule rapidement entrecoupés. À la monotonie succède la fougue de la vie ! Et peu importe la façon dont les péripéties de Carla et Paul s’achèvent, Sur mes lèvres réussit à ériger un dilemme troublant : peut-on échapper à sa condition de handicap, à sa nature de bandit, et à ses inclinaisons ? Au spectateur de se faire un avis. En ce film réside une ode au pouvoir de la décision. Malgré un approfondissement du passé des personnages absent, l’œuvre de Audiard réussit à illustrer les vicissitudes de l’Homme : violence, sexisme, exclusion et solitude se rencontrent et se confondent. Un portrait unique de songes impossibles à lire sur les lèvres.