Avec Sur mes lèvres, Audiard signait sans grande discussion possible son meilleur film jusque-là. Il séduisait par une caractérisation réussie, sans misérabilisme - allez si, juste un peu - en nouant une relation à laquelle le mystère et les contradictions donnent une forme d'éternité maladive. A chaque instant, le lien que tisse ce couple de réprouvés évolue sans se résoudre, visite de nouveaux chemins, seulement tracés par une constante sensualité et des douleurs à fleur de peau. Ainsi, le binôme est insaisissable, s'affranchit des calculs et des prévisions ordinaires. Tout comme il a connu le rejet de la société, il parait quelque part, sur un plan artistique (je ne dis pas, bien sûr, que les personnages font cela consciemment) trouver sa vengeance en traçant un chemin déviant, une voie faite de manipulation et de noirceur, vers une conclusion inévitable mais pourtant cent fois plus complexe qu'on pouvait se l'imaginer. Sur mes lèvres est un film trouble et fascinant, qui profite du talent d'Audiard pour capter les sensations, multiplier des gros plans sans voyeurisme, utiliser la surdité de son héroïne comme un fil rouge tragique et narratif évident. Un film qui jamais ne perd sa précision, et se dévoile petit à petit comme une oeuvre complexe. C'est aussi un écrin idéal pour une Emmanuelle Devos impressionnante, tout au long de l'évolution de son personnage, dans ses fragilités, dans ses espoirs, dans ses soupçons de perversion. Vincent Cassel en fait un peu trop, mais porte toujours sur lui l'intensité qu'il fallait à son personnage. De petits excès parcourent le scénario, sans jamais donner d'argument véritable dans le sens d'une outrance agaçante, participant au contraire d'une ambiance à l'expressionnisme morose qui renforce immédiatement chaque parcelle d'énergie et chaque recoin d'âme de ses personnages. Subtil, puissant et tout à fait fascinant.