Soixante ans après sa sortie, on fait encore d' "A bout de souffle" un incontournable de l'Histoire du cinéma.
C'est comme ça. On ne choisit pas.
Alors rassurez-vous tout de suite : par ce billet, loin de moi l'intention de contester la place qu'a occupé ce film dans ce tournant que fut la Nouvelle vague.
Par contre, je ne vous cache pas qu'en contrepartie je ne vais pas me priver d'interroger sa pertinence intrinsèque en tant qu’œuvre de cinéma.
Parce que d'accord - on a bien compris le principe - il s'agit dans cet "A bout de souffle" de rompre avec toutes les habitudes et les conventions inscrites dans le septième art jusqu'alors.
Ellipses sauvages, sens du tempo à contre courant des habitudes, dissociation entre la narration par le verbe et celle par l'image, explosion du quatrième mur : tout est bon à condition qu'on ne s'y attende pas...
Alors OK, c'est vrai : même soixante ans plus tard il faut avouer que ça fait son petit effet.
Quand bien même assiste-t-on au déroulement d'une histoire sans intérêt mobilisant des archétypes totalement éculés (le bandit dandy, les jolies potiches, les flics en chapeau...), le fait est qu'il y a bien de quoi rester l’œil vissé sur l'image, surpris qu'on puisse être par cet enchaînement de ruptures en pagaille.
Effectivement c'est dynamique, saisissant, déroutant...
...En d'autres termes ça ne laisse pas indifférent.
Maintenant, une fois l'effet de surprise passé - et me concernant ça m'a passé au bout de vingt minutes - la rupture s'installe progressivement comme une nouvelle norme.
S'impose alors irrémédiablement la fatidique question : à quoi bon tout ça ?
...Mais que permet ce cinéma tout en rupture ?
C'est sur ce point là que, me concernant, le bas blesse au point de frôler l'amputation.
A bien y regarder ce cinéma ne va nulle part. Il y va certes très vite, en s'agitant beaucoup, mais sans pour autant avoir de finalité autre que le mouvement.
Ce cinéma n'a au fond rien à dire si ce n'est qu'il est lui-même agité, truculent et mauvais garçon.
Ici Bébel fait la pose quand il sort son flingue de la boîte à gant. Là c'est le cul de Liliane Dreyfus qui se dandine insolemment sur son lit en plein centre de l'écran. Et enfin là-bas c'est Jean Seaberg qui affiche son style iconoclaste pour l'époque : coupe garçonne et t-shirt sans soutif...
Ah ça ! On la sent bien cette nouvelle génération qui s'encanaille !
...Enfin qui s'encanaille... Pour l'époque.
Parce qu'aujourd'hui une fille coupée à la garçonne, un cul plein axe ou un Bébel qui sourit, ça ne rompt avec rien.
Ça se contente juste de faire la pose et rien de plus.
Et à bien tout prendre il est là sûrement tout le caractère historique et iconique de cet "A bout de souffle".
A afficher aussi ostensiblement ce qu'il est et ce qu'il incarne - au point même d'ailleurs de n'être que ça - il devient autant une source de nostalgie et de fantasme pour tous ceux qui adorent se projeter vers cette époque qu'il est aussi en parallèle une source d'exaspération pour tous ceux qui s'en accablent.
Et si moi je fais partie de ceux qui s'en accablent c'est surtout parce qu'à faire les comptes, tout ce cinéma là - celui d' "A bout de souffle" j'entends - n'est au fond qu'un art à l'image de la génération qui l'a porté, c'est-à-dire un cinéma de posture.
En définitive, le cinéma d' "A bout de souffle" ne dit rien et ne porte rien (à part lui-même).
Il n'existe qu'au travers de son esprit rebelle ; de son attitude je-fais-tout-ce-que-papa-m'interdit...
En d'autres mots, ce cinéma se contente juste de jouer au p'tit con, sans rien apporter au passage à aucune question.
Parce qu'à force de vénérer ces iconoclastes, on semble oublier qu'en tout et pour tout ces paradoxales idoles n'ont fait que laisser derrière elles que des bris de statues.
Car si je ne renie pas à la "Nouvelle vague" le fait qu'elle a su générer un nouveau type de cinéma signifiant et totalement réinventé, j'ai du mal à considérer que ce nouveau cinéma soit le fait de ces quelques sales gosses dont Godard fait partie plutôt que de leurs successeurs des années 1970 et 1980.
Parce que dans toute cette histoire on semble oublier quelque-chose : déconstruire ce n'est pas construire.
Chaque chose s'observe au regard de ce qu'elle rend possible.
...Et un tas de gravas ne redevient de l'art que sitôt quelqu'un s'en empare pour rebâtir quelque-chose de signifiant avec.