Godard n’est pas vraiment un réalisateur classique, c’est le moins de le dire, et j’ai même envie de dire, il fait dans l’expérimental, aussi, il faut être prêt ! Pour ma part, je trouve qu’un peu comme la pissotière de Duchamp, ça passe à petite dose, mais faut pas trop pousser ! Ici, le film profite clairement de ses acteurs. Jean Seberg est superbe, elle est d’un naturel désarmant, elle étincelle et forme un duo mémorable avec un Belmondo que j’ai trouvé, pour une fois, excellent dans son style décontracté, viril et volontiers macho ! Il n’a pas encore cédé à la caricature dont il va malheureusement se revêtir dans les années suivante. Leur duo fonctionne à merveille et j’ai envie de dire, c’est l’atout majeur du film. En effet, sans eux, le film aurait été peu entousiasmant. Le film n’a pas vraiment d’histoire. Le meurtre est un vague prétexte à justifier la conclusion, mais sinon, il ne sert à rien. Imaginez votre journée classique. Ben le film représente ça. En gros, le quotidien basique d’un couple à l’amour chaotique. C’est souvent répétitif, l’obsession de Belmondo à coucher avec Seberg devient limite grotesque, les dialogues sont artificiels et parfois ridicules, et pourtant, d’autres fois, ils sont plus poétiques et presque touchants, voire drôles. On sent que Godard parvient quand même à toucher à une certaine dimension atemporelle et universelle avec son approche déconcertante et réellement nouvelle du cinéma, et faut avouer que même si l’exercice est parfois balourd et maladroit, et aurait pu être vraiment ennuyant s’il avait duré plus qu’une heure 30, il s’avère globalement plutôt réussi, et en tout cas, plus réussi que beaucoup d’autres Godard plus tardifs. Il y a encore une sorte de candeur touchante dans l’exercice, qu’accentue peut-être le cadre années 60, que va perdre Godard dans la plupart de ses films ensuite, en se répétant et en surjouant ses effets.
Visuellement, le film n’est pas exceptionnel. Le noir et blanc est un peu gris, le cadre du métrage c’est un appartement pour l’essentiel, et je ne peux pas dire que le film saisisse très bien l’ambiance du Paris des années 60. La mise en scène se veut assez expérimentale également, avec des coupes brutales, un montage abrupt, parfois à la limite du compréhensible. On notera aussi cette propension du réalisateur a esquivé ce qui fait d’ordinaire le nœud d’un film, en particulier toutes les scènes clés du scénario qui sont elliptiques (comme le meurtre, mais aussi, les scènes d’amour entre les deux amants). Malgré tout, le film atteint un certain rythme grâce à cette réalisation, et ça reste lisible avec de l’attention. Pour ma part, je dois dire que si Godard essaye de casser son jouet cinématographique, il conserve assez de rigueur classique pour ne pas faire un gloubi-boulga insupportable.
Très sincèrement, A bout de souffle n’est pas pour moi un chef-d’œuvre. Si on considère que ce qui est neuf est chef-d’oeuvresque, alors peut-être l’est-il à ce titre. Sinon, ça reste un film original, mais assez vain, parfois servi par des dialogues ridicules et des seconds rôles qui laissent pantois. Très clairement, son duo principal, mémorable et excellent relève principalement l’intérêt de ce film, à mon sens surtout entrer dans la légende pour ça, comme un célèbre film de Vadim. Ca reste un des Godard les plus regardables, et les amateurs d’ambiance singulière trouveront assez d’excentricité dans ce métrage pour se laisser embarquer dans le film sans souci. 3