Une jeune étudiante à l’accent américain et aux cheveux courts qui vend des journaux en criant « NY Herald tribune » sur les Champs-Élysées. Un beau jeune homme français, hâbleur, chapeau, lunettes de soleil, cigarette au bec, l’aborde. L’affaire est dans le sac. Voilà qui donne la tonalité de ce film atypique, sorte de tragédie désinvolte du cinéaste de la rupture. Jean Seberg n’a pas la beauté électrique de Romy Schneider, mais sa nouvelle liberté de ton – « c’est quoi dégueulasse ?»- et de jouir de la vie crève l’écran dans le rôle de Patricia.
Le jeune Belmondo rayonne d’une vitalité qui fera sa réputation. Intrépide, il rêve devant le portrait de Humphrey Bogart sur une affiche de cinéma. En 2013 à Lyon, Tarantino a rendu un hommage vibrant à Bébel, en lui avouant que jeune, il admirait ce plan! Sa course finale, avant de tomber par terre, désarticulé comme un pantin, nous ferait rendre sympathique celui qui n’est qu’un petit voyou devenu assassin. Sa façon de caresser ses lèvres avec son pouce est d’une sensualité délicate et irrévérencieuse.
Patricia et Michel, deux personnages sans avenir, vivent leur idylle nonchalamment, une sorte de Fureur de vivre façon nouvelle vague. Les dialogues sont écrits à l’emporte-pièce et brut de décoffrage. Les faux-raccords pullulent volontairement. Le metteur en scène décoiffe le cinéma d’après-guerre, pulvérise les codes de bonne conduite et son scénariste, François Truffaut, n’est pas en reste. De temps à autre, des passants, voire les héros eux-mêmes, regardent en direction de la caméra !
Michel Poiccard/Bébel n’a pas d’avenir, il dit d’ailleurs qu’il veut « devenir immortel…et puis mourir ! ». L’un des rôles secondaires est tenu par Jean-Pierre Melville, lui qui mettra en scène quelques années plus tard, le destin d’un délinquant encore plus solitaire dans Le samourai.
N’oublions pas de mentionner la musique jazzy moderne de Martial Solal, qui participe largement à l’ambiance envoutante et planante de ce film nourri d’inspiration américaine.
Le décor est secondaire, les gabardines et les voitures de police sont bien ringardes, à l’image de la France de cette époque. La morale est sauve – sinon ce film déjà interdit à l’époque au moins de 18 ans (!) ne serait pas sorti. Patricia survivra à cette passion sans avenir, quant à Jean Seberg, fragilisée, elle ne sera pas indemne.
Le vent a soufflé sur l’écran, et nous a fait cadeau des personnages romanesques et tragiques, dont nous n’envions pas le sort, mais seulement le panache et la gouaille. La même année, Delon et Girardot vivent un autre parcours tragique aux antipodes de celui-là dans le méticuleux Rocco et ses frères du maitre milanais Visconti. Changement d’époque.
TV 3 -Octobre 2016