The Sadness n’investit pas la ville de Taipei par hasard, mais se saisit du film de genre pour brosser le portrait de la capitale taïwanaise en synthétisant les représentations antérieures faites de celle-ci – nous retrouvons la séparation des amants telle que la concevait Taipei Story (Edward Yang, 1985), qui prend ici la forme d’un engrenage tragique rappelant Early Train from Taipei (Liang Zhefu, 1964), la noirceur et la violence de Xìngfú Chéngshì (Ho Wi-ding, 2018), la déambulation urbaine ouverte sur le surgissement du traumatisme et du cauchemar conçu par Super Citizen Ko (Wan Jen, 1994) – tout en les réactualisant à l’heure des crises sanitaires, de la pression sociale qui écrase les Chinois en leur imposant conformisme professionnel et régulation des passions domestiques.
L’éruption de la folie traduit un débordement lui-même issu d’un trop plein que résume l’ouverture du long métrage, soit la nécessaire désunion des membres d’un couple contraints
d’abandonner le lit pour s’investir dans des taches désagréables
.
Folie liée à un virus, Alvin, qui connecte deux parties du cerveau responsables respectivement du sexe et de l’agressivité, comprenons lesdites passions refoulées et réprimées par un gouvernement qui, littéralement, a perdu la tête (voir la séquence consacrée, hilarante)
. L’intelligence du long métrage tient alors à son savant mélange d’horreur gore et de burlesque, occasionnant des moments de drôlerie rarement observés dans le genre, mais également à un goût pour le mauvais goût, à une délectation devant l’effroyable, à une autorisation de l’interdit en image – tout ce qui concerne les nouveau-nés ou l’œil de la pauvre Molly, par exemples – qui n’est pas sans thématiser la banalisation contemporaine de la violence en ville, aussitôt accomplie aussitôt relayée puis diffusée par les médias.
La mise en scène néoréaliste, avec ses déambulations en scooter, se heurte à des scènes cannibales esthétisées à la démesure tour à tour singulière –
l’explosion de sang issue de la carotide tranchée de l’un des passagers du métro
– et jouissive. The Sadness cultive ainsi l’oxymore en représentant la mort de ses amants pour lesquels les lits pleins d’odeurs légères mutent en tombeaux, déplore le règne de « la tristesse » chinoise sous l’aspect d’une orgie ensanglantée des plus mémorables. Une belle réussite !