Si la dernière pandémie a laissé ses traces, il y a au moins un réalisateur qui cherche à les amplifier pour surfer dessus. Robert Jabbaz n’y va pas par quatre chemins pour faire le constat d’un monde violent, dépravé et déjà à l’agonie. Le prétexte d’un monde zombifié n’est qu’une alternative parmi d’autres que le spectateur aura sans doute déjà accepté. Alors à quoi bon continuer de suggérer alors qu’on peut se lâcher un peu ? Le cinéaste canadien ne prend aucune pincette, aucune consigne et aucune limite pour catapulter son récit de la violence à l’ultra-violence. Il y a de quoi en faire pâlir plus d’un et à juste titre, car la créativité, l’humour macabre et le bon mauvais goût sont à la hauteur du carnage.
Nous ne sommes pas dans le « Salò » de Pasolini, mais il s’avère que le jeu est aussi agressif et corrosif. La situation de Taïwan justifie déjà cet aspect décomplexé et transgressif, vis-à-vis d’une Chine communiste, particulièrement fautive dans cette crise virale. Le gouvernement agit à distance, mais n’est pas pour autant à l’abri de ce fléau, qui frappe encore plus forte les habitants isolés et qui ne parviennent pas à s’intégrer dans la société. Le fameux virus secoue ainsi l’essaim émotionnel de ces personnes, qui culpabilisent de ne pas assouvir leurs fantasmes les plus fous et les plus cruels ou de s’affranchir de toutes contraintes morales. C’est d’ailleurs une des limites du spectacle, qui va parfois trop loin dans son excentricité, mais étrangement, c’est ce qui en fait sa force et un objet fascinant à regarder, si toutefois l’on parvient à soutenir le visionnage.
Les adeptes y verront du Sam Raimi, du David Cronenberg, Georges Romero et bien plus encore. Tout a été mis dans le même saladier pour en faire une compote difforme, mais cohérente dans la démarche du cinéaste. Il nous balade dans un roller coaster hémoglobineux d’une rare intensité et d’une excellente fluidité. La première heure façonne ainsi ce monde fait d’individus ordinaires, qui ouvrent leurs yeux obscurs et qui saisissent chaque opportunité de se nourrir de la souffrance de leurs victimes. À ce titre, il y aura peu de choses à raconter sur le parcours de deux amants, Kat (Regina Lei) et Jim (Berant Zhu), essentiellement observateurs de la sauvagerie omniprésente à chaque coin de rue. Ces deux amoureux, qui ont du mal à communiquer, qu’importe la distance qui les sépare, serviront malgré tout d’intermédiaire avec le spectateur, qui pourra y projeter ses traumatismes à travers leur détresse. Ils se cherchent à travers l’apocalypse, mais le cadre s’attardera toujours plus sur ses sujets infectés.
Pour un premier long-métrage, il fallait oser et Jabbaz prouve une aisance dans la narration effrénée, qui ne laisse aucun temps mort. Un sens du tempo horrifique permet ainsi aux segments slashers de gagner en efficacité, cela malgré un procédé qui se répète tout le long du périple. « The Sadness » ne se prive donc pas de salir d’écran d’effets gore en tout genre, quitte à refaire la peinture du décor, en soi superficiel, face à la nature humaine qui domine et qui détruit tout. Un homme d’affaires incarne d’ailleurs le sadisme absolu qui le consume. Et outre le fait que certains des dialogues interpellent par leur spécificité, il restera un harceleur aux yeux de ses proies. Une œuvre méchante à découvrir avec lucidité et un cœur bien accroché.