Dix ans après avoir marqué les esprits avec l'ambiance sinistre du pour le coup très bien nommé "Sinister", la formule Scott Derrickson + Ethan Hawke + enfants refait son apparition dans une production Blumhouse. Comme un symbole à ce qui est vite devenu en 2012 un titre référence des débuts de son catalogue, la firme spécialiste de l'épouvante se pare d'ailleurs de changements autour de son emblème bien connue à l'occasion de l'ouverture de "Black Phone", sans doute consciente du succès et de la qualité que cette nouvelle réunion peut laisser augurer pour asseoir un peu plus sa réputation en ce domaine. Et ça ne loupe évidemment pas, avec cette fois la base d'une nouvelle de Joe Hill en guise de terrain de jeu, "Black Phone" s'impose d'emblée comme un hit en puissance !
1978, dans une petite ville du Colorado apparemment dépourvue d'un service de ramassage scolaire qui pourrait éviter bien des problèmes, un kidnappeur d'enfants sévit au nez et à la barbe des autorités. Bientôt, il jette son dévolu sur le pauvre Finney. Enfermé dans un sous-sol insonorisé par son bourreau, le jeune garçon se met à recevoir des coups de fil d'un vieux téléphone noir dont les fils sont pourtant arrachés...
Waouh, rarement on aura été dans un tel état de tension au cinéma cette année pendant un peu moins de deux heures !
De l'intimité du domicile où un père entretient un climat de terreur à la tyrannie des petites frappes au collège, "Black Phone" nous présente d'emblée un environnement de violence aux antipodes de celui qui devrait normalement rimer avec une enfance heureuse mais dans lequel le jeune héros du film évolue au quotidien, avec un fort sentiment de véracité, en quête d'affirmation de soi et se raccrochant aux rares instants d'innocence mis à disposition sur son chemin, comme le refuge de sa relation chaleureuse avec sa sœur, les conseils d'un ami sincère, un compliment ou les papillons dans le ventre causés par le sourire d'une petite camarade... Mais, au-dessus de tout ça, c'est donc installé une plus grande menace et un climat de paranoïa conséquent dans son ombre : un diable de chair et d'os déguisé en magicien (Ethan Hawke aux différents looks terrifiants, presque irréel dans la normalité du cadre, à la façon d'une incarnation humaine d'un Ça) se nourrit des êtres les plus innocents en les engouffrant dans la noirceur de son van et de celle qui envahit l'image à chaque enfant que le hasard met sur sa route comme pour mieux ellipser ses actes monstrueux hors de cette réalité.
La force de caractère qui manquait à Finney, il va devoir bien sûr l'acquérir lorsque lui-même se retrouve aux mains de ce dangereux personnage, avec l'aide... de l'impossible.
Si, déjà, "Black Phone" a très vite établi un élément fantastique proche de Finney, le film prend bien entendu une toute autre ampleur dans cette direction dès que le garçon décroche le combiné du téléphone noir et, entre des mains maladroites, on imagine aisément que cette grande enjambée soudaine dans le surnaturel aurait tout pour lui faire perdre son ancrage au sein de la réalité savamment construit et ayant fait sa force jusqu'ici. Mais ce serait évidemment sous-estimé Scott Derrickson qui réussit à doser parfaitement les composantes de son récit, alliant avec brio la dimension psychologique possiblement représentée par ses manifestations pour un tel petit captif désespéré à leur incarnation fantastique la plus littérale et prédominante. Aussi, à la formidable tension qui découle de ses apparitions (avec quelques redoutables jumpscares à la clé, le procédé est utilisé à très bon escient pour malmener notre petit coeur) se mêle tout autant le suspense de la mise en œuvre d'espoirs d'évasion que la froideur radicale des manipulations sadiques du tueur masqué toujours plus invasif physiquement et psychologiquement auprès de sa victime.
Avec tous ces éléments finement dosés, "Black Phone" envoie donc notre taux d'adrénaline vers ses plus hauts sommets sans jamais le faire rabaisser pendant la quasi-totalité de sa durée, comme si nous étions nous aussi des prisonniers malmenés dans ce sous-sol où les ténèbres paraissent constamment éteindre toute lueur d'espoir qui a le malheur de s'y allumer. Sans en trahir la teneur, il suffira de voir l'espèce de tsunami irrésistible que représente la conclusion en termes d'émotion, pour certains personnages comme pour nous, nous laissant avec cette irrémédiable impression d'avoir vécu au plus près d'eux les plus terribles aspects de cette épreuve.
Avec ce retour dans l'écurie Blumhouse qui en partage ses principaux ingrédients (et de jolis clins d'oeils), Scott Derrickson renoue avec la réussite que fût "Sinister" en son temps et confirme par la même occasion sa prédisposition pour le genre horrifique dans lequel il semble s'épanouir plus que tout autre en termes de mise en scène (n'oublions pas que c'est l'excellent "L'Exorcisme d'Emily Rose" qui l'avait révélé). On est déjà partant pour le prochain car des ambiances qui nous accrochent si intensément à notre fauteuil comme celle-là, on ne peut que en redemander.