Le miracle que réussit Jean-Jacques Annaud se résume dans la citation inaugurale suivant laquelle il est des situations qui rendent le vrai invraisemblable. Il invente l’image vraie, ou plutôt une forme d’images tellement incarnées et fidèles à la réalité qu’elles restituent cette dernière comme les hosties consacrées rendent présent le corps Christ lors de la communion catholique. Le spirituel, dans Notre-Dame brûle, ne saurait se passer du physique : le feu devient l’allégorie de cette puissance totale qui détruit un édifice pour mieux recréer une cohésion, revigorer un symbole et décupler sa puissance.
Paris apparaît, pendant les deux tiers du long métrage, comme une ville de chaos au sein de laquelle les hommes sont bloqués, empêchés, enfermés dans un rythme de vie qui les aliène ; l’incendie a un effet réunificateur, il rassemble autour d’un lieu les trois ordres de la société tels qu’Adalbéron de Laon les définissait : ceux qui prient, ceux qui se battent (contre le feu) et ceux qui travaillent, comprenons cette masse anonyme « métro-boulot-dodo ». Or, leurs membres comptent moins comme personnes que comme fonctions : aveuglés par l’écran de téléphone portable et par l’indifférence qui régissent leur quotidien, ils exécutent machinalement une suite de tâches. Aussi l’incendie les sort-il de leur léthargie, qu’il s’agisse de la Mairesse de Paris ou du simple cycliste soucieux d’immortaliser les flammes par un selfie.
La communion proposée par le film raccorde donc le religieux à son ancrage populaire et à cette nécessité de fonder son existence sur des valeurs qu’incarnent les édifices sacrés. Annaud exploite une imagerie sacrée, faite de marche sur l’eau, de bougie allumée, de gueules de gargouilles crachant du plomb et de fumées apocalyptiques, pour rappeler l’ancrage terrestre de la religion et de la foi, toutes les deux attachées à donner du sens à la vie de l’homme. La destruction partielle de la cathédrale produit un ébranlement, un étonnement au sens premier du mot, un coup de tonnerre qui réveille, un temps, le monde entier comme l’accident conduit France, le personnage de Bruno Dumont, à retrouver le contact avec le monde tel qu’il est, loin des illusions journalistiques (2021). La musique massive de Simon Franglen, élève de James Horner auquel il emprunte la patte, accentue la gravité d’une œuvre brillamment mise en scène et interprétée, le cinéaste ayant opté pour un mélange d’acteurs professionnels et amateurs, tous confondus avec les protagonistes issus des archives.
Notre-Dame brûle est une œuvre hybride, atypique, unique qui parvient à restituer le vrai dans sa polyphonie et ses dissonances congénitales. Un entrelacs d’échelles, des journaux télévisés internationaux aux appels à l’aide d’une vieille dame devant un petit chat qu’elle ne sait pas sauver. Une critique sociale cinglante mais guère moralisatrice parce qu’elle repose sur des faits et laisse libre cours à l’interprétation. Un spectacle de spectateurs en lutte contre leur impuissance pour éviter l’inévitable. Un chef-d’œuvre, en somme.