Au début des années 1990, Michael Douglas réussit l’exploit d’enchaîner deux chef d’œuvres. Le premier est le sulfureux « Basic Instinct », le thriller érotique par excellence où on retrouve la sublime Sharon Stone, le second est « Chute Libre ». Ce dernier marque l’apogée de Michael Douglas en tant qu’acteur.
« Chute Libre » est un drame social simple au premier regard, mais qui plonge dans les tréfonds de l’être humain. Le cobaye, ici, est D-Fens. Un américain basique qui va, tout au long du film, amorcé une terrible chute en enfer. C’est la société qui est visée directement, le film s’intéresse particulièrement aux personnes que le système a bouffées et recrachées vivantes. Mis à part le fameux D-Fens, on assiste aussi à la dernière enquête de l'officier de police Prendergast, qui aborde à sa manière, la société mais d’un point de vue différent. Un parallélisme est effectué entre les deux personnages, on suit cette journée avec eux, à tour de rôle : c’est le destin de deux hommes que tout opposent, mais qui vont finalement se retrouvés dans quelque chose qu’il leur est commun. Les deux personnages amorcent une descente en enfer, chacun à sa manière, et un des deux y survivra, au dépend de l’autre. Le fait d’aborder ces deux entités est très fort, on apprend un peu plus chaque minute sur leur façon de penser, sur leur vie privée. Beaucoup de messages et de symboles sont véhiculés, « Chute Libre » met à nu les sentiments de l’être humain.
Michael Douglas signe une performance incroyable de réalisme, il met les petits plats dans les grands. Sa prestation est telle qu'une récompense ou plusieurs auraient dû lui être remises. On ne connait pas le véritable prénom de son personnage : aux yeux de la société, il n’est connu qu’avec son matricule, D-Fens. Ce qui en dit déjà long. La scène d’introduction est monumentale, Douglas donne à lui seul toute la force nécessaire pour rendre l’atmosphère oppressante. C’est d’ailleurs comme ça tout au long du film, il est à la fois touchant et impressionnant. Touchant à plusieurs abords, il cherche qu’une chose : rentrer chez lui pour souhaiter un joyeux anniversaire à sa petite fille. Il le dit à plusieurs fois, « je veux rentrer chez moi » prend alors une dimension forte. Impressionnant surtout à cause de ses actes, la violence n’est jamais gratuite, et elle est toujours empreinte d’humour noir et de cynisme. Sa longue chute aux enfers de caractérisent de cette façon, on ne tombe jamais dans le too-much. Ses altercations avec le propriétaire du golf, le vendeur néo-nazi et le patron du restaurant sont des petits bijoux, que ce soit au niveau des dialogues (souvent émouvants) que des gestes. D-Fens dénonce violemment ce que la société fait des personnes, le sujet est parfaitement traité, avec le recul nécessaire. Mais, le film ne s’intéresse pas qu’à ce côté du personnage, sa vie privée est aussi dans la ligne de mire. Et, encore une fois, la société est visée (ça soulève de nombreuses questions d’un point de vue humaniste) mais pas que. On en apprend plus sur le passé de D-Fens, sur sa vie privée gâchée à cause de lui-même en fait. « Chute Libre » s’enfonce dans les méandres de la douleur et de l’amour parent/enfant. D-Fens vit uniquement avec son passé, il n’envisage pas le présente et le futur sans cet élément, ce qui donne naissance à des scènes poignantes. Michael Douglas signe une de ses meilleures performances, si ce n’est la meilleure. Rares sont les acteurs qui donnent autant de force à leur personnage.
« Chute Libre » évoque aussi la vie de l'officier de police Prendergast. Le sujet est abordé d’une façon différente de celle de D-Fens. Le matraquage est plus d’ordre privée, Prendergast se recherche encore, beaucoup de questions l’entourent. La perte d’un enfant est le fil principal du personnage, ça se voit très bien avec sa femme, à la fois pathétique et triste. On ne peut qu’éprouver dans la pitié pour lui (et pour D-Fens aussi), mais le fait de passer le tout sous une bonne couche d’humour noir rend le sujet plus abordable. «Chute Libre » mélange à merveille le côté dramatique et comique de la situation. Un tour de main assez stupéfiant. Robert Duvall était le type parfait pour assurer ce rôle, sa performance se doit d’être saluée (tout comme son sérénité). Les autres acteurs sont tous très bons, et effectuent un joli boulot. Chacun réussit à marquer le spectateur, et à développer un profil psychologique unique. En fait, chaque personnage aurait pu remplacer les deux principaux.
« Chute Libre » est un chef d’œuvre, tout simplement. Il réussit à distiller des émotions fortes en les faisant arriver au spectateur par des moyens détournés comme l’humour. Le rendu est très humain, l’émotion pure frappe souvent à la porte. Avec une palette d’acteurs parfaits, des scènes marquantes et une réalisation spéciale, « Chute Libre » est une œuvre incroyablement forte, remplie de symboles.