Des dernières vagues d'obscurité que la Grande Guerre aura propagé sur le monde aura au moins émergé la lueur d'une amitié dépassant les clivages d'une époque. Trois âmes pointées du doigt pour leurs extravagances ou différences vont en effet créer un lien indéfectible, allant jusqu'à fuir ensemble à Amsterdam pour le vivre pleinement, en osmose, dans la bulle de leur propre normalité. Mais cette période ne durera qu'un temps.
Revenu aux États-Unis, Burt, le médecin excentrique malheureux en amour, est resté ami avec Harold, son frère d'armes afro-américain et aujourd'hui avocat, mais Valérie, l'infirmière aux talents étonnants avec qui le second avait été en couple durant leur parenthèse hollandaise, n'a depuis plus donné de nouvelles.
Lorsqu'un jour, les deux hommes sont appelés par la fille de leur défunt supérieur militaire pour enquêter sur les circonstances troubles de sa mort, ils sont encore loin de se douter du dangereux engrenage dans lequel ils viennent de mettre les pieds...
Avoir commencé à aborder ce nouveau film de David O. Russell avec l'amitié de son trio principal est une évidence tant elle en est le centre de gravité par lequel se ressent merveilleusement bien la connexion de ces personnalités en marge (et en avance) de leur monde. Envers et contre tout, ces âmes soeurs se sont miraculeusement trouvées, aimées pour leurs excentricités dont la plupart se détournait jusqu'alors, leur bonheur en vase-clos à Amsterdam devenant même un symbole des années folles et insouciantes de l'entre-deux-guerres. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le film fait rimer la période suivant leur séparation avec celle de la montée de courants de pensée nauséabonds et annonciateurs du pire à venir...
Avec Christian Bale, John David Washington et Margot Robbie en têtes d'affiche, inutile de dire que David O. Russell n'a aucun mal à nous attacher à ce sympathique trio et à chacun de ses iconoclastes nageant à contre-courant de la rigidité de leur temps, ce cœur battant du long-métrage lui permet de faire justement du David O. Russell pur jus en nous amusant avec leurs "bizarreries" (eux-mêmes prennent du plaisir à les partager dans le regard de l'autre) pour ensuite les faire déteindre sur les personnalités de ceux leur venant en aide face à des adversaires de l'ombre cherchant avant tout à modeler uniformément autrui à leurs sombres desseins.
Ainsi, si l'on devait avant tout juger "Amsterdam" par la manière dont nous fait vibrer cette belle histoire d'amitié bousculée par les fluctuations historiques de son époque, on ne pourrait en faire ressortir que du positif.
Mais, bien entendu, "Amsterdam" va pousser plus directement tout ce petit monde à se confronter à la montée du fascisme (sur le sol américain qui plus est) au cours d'une enquête qui, si elle va être très plaisante à suivre grâce aux interactions qu'elle engendre pour ses héros avec de très nombreux alliés ou ennemis durant sa progression (sans compter tous les grands noms qui défilent sous nos yeux pour les interpréter), va faire l'effet d'une étrange baudruche en train de se dégonfler d'un coup sec lors d'un dernier acte étonnamment manqué.
Voulant survendre un coup de théâtre complètement futile, le film tombera dans une surenchère d'explications, de redondances et même de situations rocambolesques là où on n'en demandait pas forcément, faisant passer toute l'histoire très lisible du complot mis sur la route de ses protagonistes (basé sur des faits historiques) au premier plan et au détriment des meilleurs ingrédients qui le faisaient fonctionner jusqu'ici. David O. Russell aura le mérite d'éviter la complète sortie de route en redirigeant in fine le film vers la touchante émotion émanant de son trio (les ultimes instants sur le port sont très réussis) mais, à cause de cette dernière partie non maîtrisée, "Amsterdam" laissera le sentiment d'être passé à côté du grand film qu'il aurait pu et même dû être.