Le cinéaste Mohammad Rasoulouf est actuellement emprisonné, pour propagande anti-régime, et son dernier film, tourné clandestinement, jamais montré en Iran mais récompensé d’un Ours d’Or à Berlin, y a sans doute joué un rôle non négligeable. Contrairement à ses travaux précédents, ‘Le diable n’existe pas’ se présente sous la forme d’un film à sketches d’une longueur démesurée de deux heures et demie, chaque segment ayant donc la durée d’un moyen-métrage. Le choix de ce format répond aussi à des contraintes particulières puisque Rasoulof était déjà interdit de tournage à cette époque : les demandes d’autorisation de tournage ont donc été déposées pour quatre films réalisés par quatre réalisateurs différents, la censure iranienne s’inquiétant moins des courts et moyens métrages que des longs qui pourraient être visibles dans les cinémas. Ces segments fonctionnent indépendamment les uns des autres sur le plan narratif - les rendre cohérents aurait réclamé une logistique et une liberté de mouvement dont le réalisateur ne disposait pas - mais sont reliés par une thématique commune. On y trouve d’abord le portrait d’un homme tranquille et bienveillant, dans le segment qui donne son titre au film. S’ensuivent “Tu peux le faire” consacré aux manoeuvres d’un soldat pour éviter d’accomplir une certaine tâche et fuir le pays, “Anniversaire”, sur un couple qui va être bouleversé par la découverte qu’ils possèdent involontairement une connaissance commune et ‘Embrasse-moi” qui traite d’une histoire de révélation familiale. Ce qui plane au-dessus de ces quatre récits, c’est l’idée de la Peine capitale qui existe et est toujours fréquemment appliquée en Iran, et les réactions individuelles de citoyens ordinaires lorsqu’ils y sont directement ou indirectement confrontés. Visuellement cohérentes malgré les écueils techniques et logistiques, bénéficiant des dons de conteur qui caractérisent la plupart des auteurs-réalisateurs iraniens, ces histoires, au-delà de l’horreur que ce châtiment définitif inspire de toute évidence à Mohammad Rasoulof, en disent long sur l’enfermement mental qui caractérise la société iranienne, trop angoissée à l’idée de devenir une cible légitime pour le gouvernement autoritaire de la république islamique pour oser laisser parler ses sentiments et son humanisme. Pour le cinéaste, sous couvert de la fable et de la fiction, son ultime réalisation était un plaidoyer pour une société plus juste et plus humaine.