Le désenchantant twist à Bamako, 60 ans après
C’est un film d’époque épique, et entrainant dans un pan de l’Histoire qui a donné le ton à notre présent qui aurait pu être mieux reluisant. Le réalisateur sert un hymne au combat socialiste par une ode à l’amour, dans une esthétique cinématographie de haute volée.
On a raté le coche dès le début. Voilà ce qu’inspire « Twist à Bamako ». Le long- métrage de 2 heures 10 minutes est un chef-d’œuvre fictionnel moulé dans du drame croupissant et de la romance enchanteresse. Le réalisateur marseillais Robert Guédiguian opère une parade par la sensualité et les étranges péripéties de l’amour, pour rendre compte du tragique qu’a constitué l’échec des indépendances. C’était tout un idéal de liberté(s) et d’affranchissement de
diverses formes qui a été trop tôt cuit à l’étouffée dans la cocotte des orgueils,
des ignorances et des cupidités. Un propos engagé !
Samba, 20 ans en 1962, est un jeune homme engagé dans le bouillonnement et la diffusion des idées socialistes dirigées par le président Modibo Keïta. Il parcourt les zones rurales pour « enrôler » les paysans dans le combat communiste, lui, le fils d’un riche traitant local. Sur ces chemins de la Révolution, il rencontre la belle Lara, nymphe adorable et éprouvée, mariée de force au fils d’un dignitaire de son village. Ils s’abreuvent d’amours folles dans le Bamako By Night. Ce, au rythme du twist et autres références culturelles occidentales. Une vie de rebelle la journée, une vie en dilettante la nuit. Très vite dans le pays, comme toujours et encore, les anicroches apparaissent entre les âges, les sensibilités et les classes sociales. Un coup sur l’unité qui devait prévaloir pour bâtir la nation, une réelle indépendance et une société d’équité.
A quelques moments, dans le film, on a senti de fortes saveurs de « Les Bouts de Bois de Dieu » de Sembene Ousmane (Roman, 1960). Surtout si on reste dans les délices et la justesse de la description littéraire. Robert Guédiguian nous offre l’occasion de voir en vrai cet univers, pour ceux qui ne l’ont pas vécu. Le décor du film (on est même tenté de parler de scénographie) est d’une justesse exceptionnelle. Des costumes à l’environnement, tout a été modelé pour une téléportation de 60 années plus tôt. Tout et tout rappelait l’époque, jusqu’aux véhicules mobilisés pour la circonstance (DS, R4, Coccinelle, Peugeot 404, …), ainsi que l’espace (utilisation de bâtisses « coloniales » de Thiès, Saint- Louis et Podor pour le plateau de tournage). Une forte esthétique. Avant la projection, Robert Guédiguian a ri avec le public d’une anecdote. Des Thiessois venaient demander si leur mairie avait été cédée aux Maliens, car on y avait élevé le fronton « Mairie de Bamako ». Rien que dans cette ville de Thiès, par ailleurs, plus de 1500 figurants ont été recrutés. De sorte à fortement soulager les rigueurs de la pandémie à coronavirus (le film a été tourné en pleine Covid- 19).
Entre le livre « Les Bouts de bois de Dieu » et le film « Twist à Bamako », il y a 15 ans d’écart entre les époques. Sembene relatait la malheureuse grève des cheminots de 1947-1948, et le réalisateur Robert Guédiguian rappelle les premières heures d’indépendance et de liberté du Mali, en 1962. Le Soudan français devenait définitivement le Mali, après la dislocation de la Fédération du Mali qu’il constituait avec le Sénégal. Dans le roman, il y a la franche présence du Blanc qui cassait du Nègre et menait sa destinée, tandis que dans « Twist à Bamako », ce Blanc n’est pas vu. Mais il était là. On le sentait. Malgré la déclaration d’indépendance, l’affranchissement n’était guère effectif et le néocolonialisme étalait sa puissance. L’ombre des pionniers (Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Modibo Diarra bien sûr, Ameth Sékou Touré, etc.) a traversé toute la trame, avec leurs revers et leur sagesse. Le spectre de l’agent de l’impérialisme assassin et de l’aliénation, aussi. Une scène montre d’ailleurs la crainte du fameux Jacques Foccart.
Ainsi, pour autre similitude, l’idéal syndical et communiste a fortement marqué le propos du film. On y trouve d’ailleurs une certaine explication de l’échec des coopératives agricoles jadis établies par Mamadou Dia, alors Président du Conseil du Sénégal. Les rapports de classe, marqués par les rapports sociaux de production et de distribution des richesses, étaient biaisés. Tandis que les ouvriers et paysans étaient victimes de leur ignorance et de leurs besoins, les bourgeois et commerçants préféraient accumuler leurs avoirs et n’entendaient nullement voir leur aise menacée. La volonté de l’Etat socialiste devenait chimérique. Et, dans une certaine logique, on voit les mutations et des déviations des révolutions pour emprunter des propriétés despotiques. La frontière entre l’instinct de survie et la dictature pernicieuse est ténue, dans les
perceptions.
Il serait difficile d’attribuer une intention de transformation sociale au réalisateur de « Twist à Bamako », qui est un film d’époque, mais Robert Guédiguian donne effectivement des clefs de compréhension sur des écueils qui ont plombé le développement de l’Afrique « décolonisée ». « Twist à Bamako » fait aussi état de la lutte des femmes pour leur émancipation sociale. Ce combat était timide, mais était tout de même mené avec intelligence dans une société patriarcale qui entendait faire respecter son ordre hiérarchique. La condition évolutive de Lara et l’engagement de la mère de Bakary, ainsi que les propositions pour un Code de la famille adapté et actuel, par exemple, font sens. Mais comme les autres causes, évoquées dans le film ou pas, elle a été étouffée dans l’œuf de l’aliénation.
C’est aussi valable pour la figure de Samba. Il symbolise cette jeunesse militante et intelligence sacrifiée à l’autel du conservatisme (moins intentionnellement) et des intérêts économiques. C’est aussi une jeunesse parfois distraite par les joies et les fantasmes, au point de parfois heurter les traditions, et infectée par une cinquième colonne tout autant victime de la classe impérialiste. « Comme a dit Lénine : le socialisme, ce sont les Soviets, l'électrification et le twist », dit Samba dans le film. Mais encore que les loisirs et les plaisirs ne doivent jamais détourner de l’essentiel de la bataille pour l’amélioration de la condition humaine. Car, c’est peut-être cela qui fait que certains faits échappent à la vigilance et provoquent un cycle d’échecs incontrôlable et bien souvent fatal. Le ton d’engagement se poursuit jusqu’au terme du film, avec ce doigt d’honneur à la terreur de notre époque pour affirmer un désir de liberté. Un désir d’indépendance.
Mamadou Oumar KAMARA
Robert Guédiguian épluche les amers fruits de la liberté
Le réalisateur marseillais et coloré communiste demeure fidèle à son propos. Cette fois, il nous vient avec les regrets d’une liberté loupée, mais avec une production qui marque de tous côté les espoirs. Le chef-d’œuvre « Twist à Bamako » part de l’improbable. Le réalisateur Robert Guédiguian tombe sur des photographies de Malick Sidibé (décédé en avril 2021, à 80 ans), surnommé « L’Œil de Bamako », et en est fortement séduit. En bon artiste-cinéaste, ça lui inspire le 22ème film de sa carrière. De ces archives qui installent la nostalgie sur plusieurs décennies, le Marseillais trace un autre
fidèle segment sur sa ligne artistique : une production avec un engagement social marqué. Normal, le monsieur est entré au cinéma pour citer le monde ouvrier. Il est marqué communiste : il avait au Parti communiste français à ses… 14 ans. Dans ses films, il met naturellement le focus sur l’humain et sa condition, ainsi que l’environnement social direct. Et c’est ainsi qu’il rejoint encore facilement Sembène Ousmane sur l’idée d’un « cinéma forain qui permet de discuter avec les gens et de brasser des idées ». Comme avec « Twist à Bamako ».
Après que ses plans de tournage aient été chamboulés par la situation politique au Mali, il a choisi de se rabattre sur le Sénégal (Thiès, Saint-Louis et Podor). Il n’a pas que délocaliser le plateau, il a relooké ces espaces. Avec les reliques et
héritages architecturaux des colons, il a reconstruit l’environnement de Bamako de 1962 avec une précision quasi chirurgicale. Il faut y voir l’excellent apport de l’équipe technique et la production, avec la main de maîtresse de la
Sénégalaise Angèle Diabang, elle aussi réalisatrice de succès et gérante de « Karoninka Prod ». Le casting a aussi été enchanteur. Beaucoup de comédiens et d’acteurs se sont relevés avec grand talent sous le registre des grandes productions. La projection en avant-première nationale, jeudi dernier, s’est faite en version wolof sous-titrée en français. C’est là aussi un travail excellent et sur mesure signée la maison de production Even Prod (productrice de la série Infidèles et vautours), avec un wolof châtié et très fidèle au ton engagé du film.
Le réalisateur engagé trouve que les « leaders de cette époque traçaient des voies universelles de l’émancipation » et engageaient des combats qui continuent de nous intéresser encore aujourd’hui ». Selon Robert Guédiguian,
chercher les voies pour un meilleur partage des richesses est la chose la plus essentielle. « Il faut se souvenir de ces histoires qui se sont passées. Peu importe qu’elles se soient arrêtées pour un moment, c’est le cours normal de la vie. Mais les idées et l’esprit de ces moments doivent être transmis. C’est cela qui nous a donné à nous, Français, et à vous, Sénégalais, la force de faire une œuvre commune pour le plus grand bien de l’humanité », a déclaré Robert Guédiguian, juste après la projection, jeudi soir.
Mamadou Oumar KAMARA