Très beau film de Guédiguian, géographiquement et culturellement renouvelé mais avec toujours, au moins dans l’intention, la même veine sociale. Nous assistons à la naissance, puis à l’accomplissement d’une belle histoire d’amour, une histoire très romantique entre un jeune homme de bonne famille, Samba, éduqué et qui veut oeuvrer à la reconstruction socialiste de son Mali devenu indépendant, et une jeune et très jolie villageoise, Lara, mariée de force au petit-fils gras et sans charme d’un chef de village de la brousse. La colonisation a amené avec elle la culture occidentale. Même après l’indépendance, la musique des colons, le twist en particulier, continue à raisonner dans la tête des jeunes maliens. Pour eux, foin du soumou ou du takamba, ces danses traditionnelles, ce n’est certainement pas sur elles que l’on va faire la fête dans les boîtes de nuit de Bamako. Les boîtes de nuit, Samba va y emmener sa belle amoureuse, Lara, qui s’est enfuie de son village.
L’histoire d’amour, superbe, est le propos central du film. Lara est lumineuse, solaire. La question sociale est secondaire. Elle est secondaire, parce que Guédiguian est amené, avec honnêteté lorsque l’on connaît ses convictions, à constater tragiquement l’échec du socialisme, ou du moins l’impossibilité de l’installer pacifiquement dans cette terre pourtant chimiquement pure. Le responsable et grand ordonnateur qui a missionné Samba, jette à terre, de désespoir, sa pile de livres, constatant que son peuple n’est décidément pas prêt pour le grand partage. Les livres, l’idéologie, qu’est-ce que tout cela peut bien valoir face à la beauté des yeux de Lara, finit par comprendre tragiquement Samba, confronté à l’arbitraire, à l’égoïsme et la corruption.
« S’il n’y avait pas eu de colonisation, peut-être que tout cela [les drames] n’aurait pas eu lieu ». Cette dernière phrase du film est étrange. Elle contredit tout ce que Guédiguian vient de nous montrer. S’il n’y avait pas eu la colonisation, certes il n’y aurait pas eu la décolonisation, cela est un peu trivial. Mais ce n’est pas à la colonisation qu’il faut attribuer le meurtre de Samba mais aux pratiques tribales de ces mariages arrangés où la femme, au même titre que les terres, n’est qu’une monnaie d’échange entre les familles de propriétaires qui négocient leurs biens. Et Guédiguian a sans doute vu, sans aller jusqu’à nous l’avouer, jusqu’à se l’avouer à lui-même, qu’ il faut remonter bien au-delà de cette histoire de colonisation pour trouver la racine du mal. C’est peut-être à Rousseau qu’il faut s’attaquer. Non, ce n’est pas la Société qui pervertirait l’Homme, naturellement bon. C’est cette bonté naturelle chère à Rousseau qu’il convient de questionner. Et pour Guédiguian, l’humaniste, nul doute que ce constat est amer.