Scénariste de quelques uns des plus grands films du cinéma américain, l’homme de l’ombre derrière Scorcese qu’est Paul Schrader se pose aussi en défenseur d’un cinéma américain adulte, aux influences européennes, méditant depuis plus d’un demi-siècle sur la foi et la résilience : en d’autres termes, le gardien d’un temple en voie d’effondrement rapide. ‘The card counter’ est donc une oeuvre qui soulève de nombreuses questions morales en ayant le bon goût de ne pas asséner de réponses définitives : Quand on l’observe depuis une perspective éloignée, on voit Schrader titiller, sans déplaisir, la mauvaise conscience américaine vis-à-vis du scandale des tortures d’Abu Ghraib. Rapprochons l’objectif : la question centrale est de déterminer si cette culpabilité, individuelle dans le script mais collective dans la réalité, peut être rachetée, si un sincère désir de rédemption peut suffire à solder les comptes. Encore un zoom avant : le sujet de l’expérience, c’est ce compteur de cartes, William Tell, qui a appris à maîtriser cette technique en prison, et dont quelques minutes suffisent à comprendre qu’il mène une existence fantomatique, refusant tout attachement, qu’il soit matériel, géographique ou émotionnel. Cette course sans but, ponctuée de haltes éphémères dans des casinos et des motels, n’est peut-être pas assez approfondie pour que s’installe ce malaise qui aurait répondu à celui que dégage le compteur de cartes, le choix d’avoir fait de Tell un joueur professionnel devient rapidement très secondaire mais Oscar Isaac, ici particulièrement inspiré, s’impose comme le digne héritier des légendes scorcesiennes d’autrefois.