On ne le présente plus mais rien à faire quand on parle de Paul Schrader, on a toujours une pensée pour Taxi Driver. On y pensait au sortir du très beau Sur le chemin de la rédemption et on y pense toujours quand The Card Counter achève sa partie. Bon, ce n'est pas un hasard non plus, le scénariste/metteur en scène ressassant encore bien des choses qui collaient aux basques du chauffeur de taxi et vétéran Travis Bickle. Schrader filme d'abord des hommes fracturés en profondeur, au delà de l'alternative bons/mauvais.
Comme Travis ou le révérend Ernst Toller, William Tell est un homme retranché. Il joue au poker, au blackjack, à la roulette, n'entretient aucune relation avec personne, et recouvre le mobilier de ses chambres d'hôtel avec des draps immaculés. Un spectre, pire un fantôme ne laissant aucune trace de son passage. À l'instar ses adversaires en tournoi, on scrute son visage. On attend, on guette. Un signe, un indice, quelque chose pour nous éclairer sur ce drôle de type poli, magnétique pourtant insaisissable.
Oscar Isaac lui apporte bien des nuances sans faire grand chose, nous égayant au moment où on se méfiait pour mieux nous refroidir alors qu'on pensait l'avoir cerné. Schrader conserve l'économie et la précision qui lui réussissent si bien, la composition des plans est un pur travail d'orfèvre. C'est plus discutable sur le terrain de l'écriture, le film met longtemps à se trouver. La bascule tardive n'est pas aidée par la relative froideur du ton, bien que de salvatrices touches d'humour surprennent (agréablement). On en revient à cette impression de répétition, un peu comme son héros qui règle sa vie et ses rituels au millimètre.
Dommage que la relation entre William et Cirk (Tye Sheridan, très bien) n'ait pas été poussée davantage, c'est pourtant elle qui devait apporter à The Card Counter son tournant, aussi bien sur le plan narratif que dramatique. Ce virage n'est emprunté que timidement. On comprend néanmoins que ce voyage est l'occasion pour Schrader de regarde les vaincus se débattre seuls avec un douloureux passé, celui d'une Amérique qui persiste à faire comme si de rien était et à parader avec indécence.