Quel bonheur de revoir sur grand écran le travail de Pierre Lemaitre ! « Couleurs de l’Incendie » est la suite de « Au revoir là-Haut », mais le seul personnage qui subsiste entre les deux films c’est celui, central, de Madeleine Péricourt, le changement de casting ne pose donc pas réellement problème. Clovis Cornillac, derrière la caméra, nous offre du grand spectacle pendant presque 2h15. Son film est indéniablement ambitieux, par la reconstitution, par l’ampleur de certaines scènes, par l’importance du casting, par le soin apporté aux décors, aux accessoires, aux costumes. Sa réalisation est très professionnelle, on sent qu’il cherche en permanence le bon plan séquence (en ouverture), le bon travelling, la bonne ambiance aussi. C’est bien de voir sur écran géant un film ambitieux dans la forme, qui n’hésite pas à présenter des scènes avec beaucoup de figurants (la scène de l’Opéra à Berlin). La musique lyrique est omniprésente dans le film, peut –être un tout petit peu trop à mon gout. C’est normal car l’art lyrique tient une place importante dans la vie de Paul Péricourt et donc dans le film, mais les scènes chantées sont nombreuses, parfois assez longues et en plus, Cornillac en rajoute encore en musique de fond dans plusieurs scènes. Ça fait un peu beaucoup pour moi, qui ne suis pas une grande fan de chant lyrique. On va dire que l’omniprésence de la musique, parfois un peu trop forte, est le seul petit bémol technique que je trouve à son film. Sinon, l’humour (qui est omniprésent dans l’œuvre de Pierre Lemaitre) n’a pas été oublié même si on sent qu’il n’a pas joué cette carte autant qu’il aurait pu le faire. C’est peut-être un peu dommage car pour le reste, l’adaptation au roman est d’une fidélité presque totale. Il ne s’éloigne du livre que sur des petits détails. En même temps, quand on a l’auteur lui-même comme scénariste, c’est un peu normal. Au casting, il offre à la merveilleuse Léa Drucker le rôle de Madeleine, un rôle à la mesure de son talent, une femme blessée, manipulée et fragilisée qui prends son destin en main
et fomente lentement sa vengeance, tel un Monte Christo de l’entre deux-guerre
. Elle est merveilleuse de force et dignité, cette Madeleine-ci. A ses côté, Benoit Poelvoorde et Olivier Gourmet incarnent des hommes
que le dépit amoureux (pour le premier) et la vénalité (pour le second)
ont rendus mauvais. Ils sont deux « méchants » hauts en couleurs, parfois dans l’excès (il y a du De Funès dans certaines scènes de Poelvoorde), souvent pathétiques sans pourtant jamais être totalement détestables. Au final, on les plaint plus qu’on ne les déteste. Clovis Cornillac est un chauffeur observateur et taiseux, complice de Madeleine, taciturne comme il sait le faire à l’écran, Alice Isaaz et (l’encore trop rare) Alban Lenoir complète ce grand casting. Tous ont des rôles écrits, avec du fond et de la complexité, et beaucoup de choses à jouer et à faire passer. Ce n’est pas toujours le cas avec les seconds rôles, parfois réduits au rôle de faire-valoir de la grande vedette. Et puis il y a Fanny Ardant, en chanteuse lyrique en fin de carrière
et qui s’offre un final éblouissant à Berlin, devant tout le gratin du IIIème Reich. Rien que pour la force de cette scène, elle mérite une mention spéciale.
« Couleurs de l’Incendie », c’est l’histoire d’une femme qui prend son destin en main, une femme que la crise de 1929 et la duplicité des hommes qui l’entourent ont ruinée, une femme dont le fils a voulu mourir sans qu’elle comprenne pourquoi
(l’explication viendra vers le milieu du film)
, qui subit beaucoup avant de toucher le fond (mais qui reste pourtant toujours digne) et de relever la tête. C’est un portrait de femme dans la tourmente
qui se venge, de façon à la fois tortueuse et flamboyante. Il y a quelque chose de très enthousiasmant dans cette vengeance complexe, dont on ne saisi l’ampleur qu’une fois qu’elle est totalement achevée. Elle ne retrouve pas sa fortune perdue, elle trouve bien davantage : sa fierté et son honneur. Cette vengeance multiforme, qui occupe les 2/3 du film, capte le spectateur jusque dans la dernière scène, pleine de tendresse et de pudeur.
« Couleurs de l’Incendie » est un grand film populaire de qualité, ambitieux sans être prétentieux et qui vous donnera à coup-sur l’envie de découvrir (ou de relire) ce formidable auteur populaire qu’est Pierre Lemaitre.