Le réalisateur argentin Damian Szifron a tapé dans l’œil de l’Amérique grâce à son formidable film à sketch « Les Nouveaux Sauvages » et cette fois-ci, c’est en anglais qu’il nous offre « Misanthrope ». Je n’aime pas ce titre mal traduit
(qui spoile un peu le film au passage)
et lui préfère la titre original, comme souvent : « To Catch a Killer ». Mis à part ce défaut propre à la distribution hexagonale, je n’ai que peu à redire sur ce thriller diablement bien mené et parfaitement tenu. Damian Szifron nous offre un thriller original (dans le sens ou ce n’est pas, pour une fois, l’adaptation d’un roman) qui démarre pied au plancher avec une scène d’ouverture très réussie et terrifiante et nous maintient scotché sur notre siège pensant 2 heures sans nous laisser une minute de répit. La première chose qui saute aux yeux, dans le travail de Szifron, c’est qu’il sait placer sa caméra et ménager ses effets. Que ce soit dans les scènes de violence (je préviens d’emblée que c’est un thriller qui n’a pas peur du sang), les scènes de suspens, tout est parfaitement bien filmé. A plusieurs reprises, il renverse sa caméra pour filmer la tête en bas. Je ne sais pas si c’est purement esthétique ou s’il faut y voir une idée de fond (changez de perspective, ne restez pas sur vos idées toute faites pour comprendre les motivations de ce meurtrier si étrange) mais cela donne des jolies scènes, et puis ce n’est pas si courant de filmer la tête en bas ! Que ce soit la lumière (l’utilisation des gyrophares par exemple) ou même le son pendant les scènes de bureau (le stylo d’Eleanor qui gratte le papier nerveusement), on sent que rien n’est laissé au hasard. J’avais déjà remarqué la maitrise technique de Szifron dans « Les Nouveaux Sauvages », ici elle saute aux yeux. Le film dure 2h, il est violent mais sans complaisance, enfin pas trop : certaines scènes de fusillades (dans le drugstore) auraient pu être moins longues, plus sobre. Mais bon, j’imagine que c’était beaucoup demandé pour un polar américain. Au casting, on remarque le bon travail de Ben Mendelsohn en chef d’enquête. Déterminé à traquer ce tueur, il compose (mal) avec les pressions politiques qui viennent le prendre en tenaille, il y laissera des plumes. Et puis, ce personnage attachant, qui déplore pendant tout le film l’ambition mortifère de ses supérieurs et des politiques,
finit par céder à son tour à cette faiblesse à la fin, en voulant la jouer solo quand il ne faudrait pas, comme rattrapé à son tour par le virus du narcissisme
. A ses côtés, la jeune Shailène Woodley avait devant elle un gros challenge : incarner une jeune policière psychologiquement fragile sans caricaturer, sans en faire trop ou trop peu. En délicatesse avec sa hiérarchie, propulsée du jour au lendemain dans une enquête du FBI en tant qu’agent de liaison, son rôle fait inévitablement penser à celui de Clarence Starling, et ce n’est pas un cadeau à lui faire que de la comparer à Jodie Foster. Mais bon, honnêtement, elle réussit pas mal son coup, elle arrive à trouver le bon dosage entre courage et faiblesse, entre force et fragilité. On sent une grande souffrance chez elle, un passé compliqué mais le scénario à la très bonne idée de ne rien en dire, tout est vaguement suggéré, rien n’est formalisé
(traumatisme à l’âge de 12 ans, toxicomanie, maladie psychiatrique ?), on peut tout imaginer, ou bien peut-être est-ce un peu des trois ?
La force de ce film, finalement, c’est peut-être aussi de n’avoir au casting aucune méga star qui aurait vampirisé le rôle. Le scénario, justement, il nous emmène dans une enquête de police difficile, à mener dans une ville difficile. Baltimore, pour qui a vu les séries « The Wire » ou encore pire « We own this city » sait bien que là-bas plus qu’ailleurs aux USA, les relations entre la police et la population sont difficiles, pour ne pas dire exécrables. Avoir campé l’intrigue de « Misanthrope » à Baltimore ne joue pas pour rien, je trouve, dans la relation police locale/FBI/pouvoir politique (trio auquel on peut ajouter les médias) qui mine littéralement l’enquête de bout en bout. Miné par ce contexte, le FBI avance péniblement, tâtonne, fait fausse route, et y laisse des plumes. Cette traque, d’un point de vue purement « thriller » est parfaitement tenue jusqu’à la fin. Des thrillers j’en vois beaucoup, j’en lis beaucoup, et beaucoup n’ont pas une colonne vertébrale aussi dense et solide. Après, la longue explication de la fin sur les motivations du tueur, on a le droit de la trouver un peu faible, un peu caricaturale, un tout petit peu décevante. Ce n’est pas ce que j’ai trouvé de mieux écrit dans ce film que malgré tout, je recommande sans trembler aux amateurs du genre. « Misanthrope » est un thriller réussi, et dans ce genre où les déceptions sont souvent au rendez-vous, c’est déjà énorme.