Présenté à l'automne 2019 à la Mostra de Venise, La Loi de Téhéran fit forte impression. Parmi les plus enthousiastes, William Friedkin (de passage pour le documentaire Leap of Faith, auquel il participe). Comment aurait-il pu en être autrement, le film réalisé par Saeed Roustaee a tout d'un héritier des thrillers signés par le maître dans les années 70/80 (French Connection, Police Fédérale Los Angeles, Cruising). On retrouve cette approche ramassée, urbaine, caméra au poing et numérique, comme chez un certain Michael Mann (autre emblème du genre). Mais en lieu et place d'une traque sans fin, Roustaee règle la question en 20 minutes. Ne soyez pas surpris, le vrai sujet est présent de la première à la dernière minute. Mais plutôt que de se lancer dans un réquisitoire en mode choral, le cinéaste entend traiter d'un problème sociétal (le trafic de drogue en Iran) en resserrant tous les enjeux autour du centre de détention.
Dans ce service surchargé, on croise des flics obstinés, des toxicomanes de tout âge, des enfants manipulés et des dealers en pagaille. Le système répressif a beau être à son maximum (30 grammes ou 30 kilos, c'est peine de mort), les statistiques crèvent le plafond. Comment le crime peut-il prospérer dans une tel climat ? Avec le recul, peu surprenant que la réponse vienne du baron emprisonné puisqu'il est lui-même produit de cet environnement. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de La Loi de Téhéran, déplacer l'empathie d'un personnage à son opposé afin de rendre limpide l'absurdité de la situation, l'ineptie de la réponse policière face aux problèmes sociétaux, et l'inévitable constat d'échec. Encore une fois, tout cela n'est jamais asséné, la simple force de la mise en scène et de l'écriture suffisent à rendre le propos évident.
Évitant soigneusement les problèmes supposés par un montage sur le vif (images confuses, caméra qui tressaute sans arrêt), Saeed Roustaee compose des plans précis mais qui respirent l'authenticité. Un aspect renforcé par une absence de poncifs, se traduisant par un antagoniste presque touchant derrière sa ruse et un inspecteur dont le charisme n'efface pas les pratiques douteuses. Peyman Maadi et Navid Mohammadzadeh rivalisent d'intensité et Parinaz Izadyar illumine dans un plus petit rôle. Le cinéaste n'oublie jamais de donner tout le poids nécessaire à son film, en témoignent la séquence de raid sur le chantier ou une arrivée en prison filmée avec un drone au beau milieu de la foule. L'enfer de ces personnages, on en a une idée ou un arrière-goût. Celui d'un combat perdu d'avance mais sans cesse renouvelé pour l'un, ou d'une pulsion de mort au milieu d'une vie d'opulence pour l'autre. Les deux frayent pourtant dans le même monde, un pays compromis par la pauvreté et les extrémités auxquelles elle le pousse.