Popularisée par Roald Dahl, divers cartoons et, bien sûr, le célèbre épisode "Nightmare at 20,000 Feet" de "La Quatrième Dimension", la légende du Gremlin, une petite créature vicieuse sabotant les mécanismes construits par l'Homme, notamment les avions des soldats durant la guerre, avait bizarrement échappé jusqu'ici à un retour sur le devant de la scène cinématographique (on peut néanmoins imaginer que l'idée de se frotter aux films cultes de Joe Dante utilisant le nom du monstre à d'autres fins a dû refroidir bien des ardeurs). C'est désormais chose réparée -ou sabotée du point de vue du Gremlin, huhu- avec ce "Shadow in the Cloud" bien décidé à revenir à la source du mythe !
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Maude Garrett, une jeune femme pilote investie d'une mission de la plus haute importance, embarque dans un avion dont l'équipage est composé exclusivement de soldats hommes. Contrainte de voyager dans la tourelle à mitrailleuse de l'appareil, elle subit inlassablement les remarques misogynes de ses compagnons quand, soudain, elle remarque la présence d'une étrange créature cherchant à détruire l'avion...
Un environnement exclusivement masculin dans une carcasse phallique où est apposée une gigantesque pin-up, un déchaînement de testotérone insupportable où les propos dégradants font aussi mal que les tirs ennemis... Le voyage de la pauvre Maude n'est pas de tout repos dans ce microcosme qui transformerait toute féministe bien portante en Super Saiyan (niveau 3 au moins). Alors, oui, en s'inscrivant une fois de plus dans la mouvance post-#MeToo, "Shadow in the Cloud" n'y va pas avec le dos de la cuillère dans la caricature machiste afin de la dénoncer (seuls les hommes ayant un physique de jeune premier ou une couleur de peau autre que blanche seront -vaguement- épargnés) mais le fait de la fondre dans un contexte militaire viril et, surtout, dans une proposition fantastique rétro sortant pour une fois des sentiers battus, réussit à lui donner une raison d'être un peu plus pertinente au-delà de la gratuité habituelle de ce type de discours au sein de films de genre récents.
En ce sens, dans la première moitié du film, le parti pris de se fixer uniquement sur Maude, isolée mais prise au piège d'un flot continu de paroles humiliantes de la part des soldats, devient ici une démonstration très bien pensée d'un concentré de violence verbale masculine auquel une femme peut être confrontée au cours de sa vie. La force de caractère de Maude pour résister et tenir tête à ses assauts de machisme installe d'emblée une héroïne déterminée et attachante, à laquelle une Chloë Grace Moretz en grande forme et le choix d'une mise en scène maîtrisée en vase clos rendent incroyablement bien justice.
Et, enfin, il y a le Gremlin, incarnation à l'écran de cette part monstrueuse des hommes qui les conduit sans le savoir à leur propre perte. La menace croissante de la violence cette fois bien physique des apparitions de la créature complète le tableau d'une relecture de la légende qui s'inscrit parfaitement dans la logique de propos du film (non, ce n'est pas un hasard si Maude maltraite souvent le bout de sa queue frétillante !).
Bref, à mi-parcours, "Shadow in the Cloud" remplit plus qu'honnêtement son contrat et laisse augurer du meilleur pour la suite !
Malheureusement, le long-métrage de Roseanne Liang (coécrit avec Max Landis) va se crasher en plein vol à cause de ses excès. D'une part, il y a ce twist sur le background de Maude, justifiant et creusant encore plus sa combativité mais qui, par le même biais, la réduit finalement à des enjeux extrêmement réducteurs -voire primaires- pour un personnage féminin. Tout ce que l'on avait enduré avec elle nous avait fait miroiter un personnage bien plus complexe et indépendant et le voici résumé en un clin d'oeil à des motivations certes touchantes mais terriblement basiques.
D'autre part, quand "Shadow in the Cloud" passe à la vitesse supérieure côté action pour accompagner le danger autour de Maude et de son objectif, il devient dur de ne pas être effaré devant le grotesque de certaines péripéties qui semblent éluder une bonne partie des lois de la physique. Précisons que l'on n'a absolument rien contre quelques effets cartoonesques prêtant à sourire mais un film intelligent aurait justement utilisé la rigueur de cet environnement aérien pour les provoquer plutôt que de choisir de s'en soustraire à maintes reprises. Le résultat débouche peut-être bien sur quelques séquences amusantes grâce au pep's des tonalités 80's que Roseanne Liang cherche à insuffler derrière la caméra mais, à partir du moment, où l'on fait abstraction des dangers les plus élémentaires, il devient dur de se sentir concerné par la menace représenté par ceux plus extraordinaires, comme ce Gremlin réduit désormais à sa plus simple teneur d'adversaire monstrueux.
Le combat final tentant de rendre ses lettres d'or à la badassitude du personnage de Chloë Grace Moretz sera tout de même à saluer mais il ressemblera surtout à l'effort désespéré d'un divertissement qui n'aura pas su être à la hauteur de ses intentions. À croire qu'un Gremlin est vraiment venu saboter ce "Shadow in the Cloud" en cours de route, il aurait pu être tellement plus...