En l’absence de grosses ferraris, les premiers films ont proliféré ces derniers temps. Et rien n’est plus beau que de voir un réalisateur débutant prendre des risques en réalisant un film qui sort des sentiers battus. En ce sens, ‘’Vivarium’’ était appelé à diviser. C’est chose faite (moyenne spectateur sur Allociné : 2, 5 une note d’un navet !). Pourtant, c’est un film qui contient de vraies richesses, et qui n’est pas aussi mauvais que les notes laissaient présager.
Gemma et Tom forment un couple sans enfant qui cherchent un logement. Ils rencontrent alors un agent immobilier qui leur propose de vivre dans une maison au sein d’une banlieue où tous les lotissements sont identiques. Mais aussitôt la visite commencée que l’agent a disparu. Le couple se retrouve (littéralement) prisonniers de cette banlieue. C’est alors qu’ils reçoivent un colis contenant un bébé.
En réalité, le plus gros problème de ‘’Vivarium’’, c’est bien sa nature même. Nous ne sommes pas devant un film très fin, ni très subtile. Nous avons à faire à une fable, au contenu fortement allégorique. Plus globalement, ‘’Vivarium’’ fait partie de ces œuvres, dites ‘’à concept’’, qui repose sur une idée, en apparence assez forte pour faire un film de plus d’une heure et demie. C’est la principale critique qui lui est adressée : pour ce qu’il a à dire, le film serait trop long et aurait pu tout à fait tenir en un court-métrage. Mais justement, c’est bien le format du long-métrage qui permet au film de ne pas être réduit à son propre concept. C’est bien le format du long-métrage qui donne de la chair au film. C’est enfin bien le format du long-métrage qui permet de renforcer le propos du film, comme nous allons le voir. Que raconte le film ? La vacuité de la vie, la morne répétition des gestes du quotidien. Elever un enfant (que l’on a pas forcément voulu), travailler
jusqu’à en mourir
… ‘’Vivarium’’ aborde l’aliénation totale à un mode de vie auquel il serait impossible de s’en défaire. Mais c’est une chose que de faire comprendre au spectateur les intentions et le but, c’en est une autre que de nous faire ressentir cette sensation de vide, d’absence de mouvement. Un court-métrage n’aurait probablement pas permis de nous faire sentir profondément (et surtout petit à petit) la non-vie de Gemma et Tom. Oui, ‘’Vivarium’’ a quelque chose d’agaçant, et même d’ennuyeux. Mais n’étais-ce pas pour le réalisateur le meilleur moyen de servir au mieux son message ? Nous faire saisir toute l’artificialité de la vie de Gemma et Tom, de leur ‘’adoption forcée’’ de l’enfant jusqu’à
leur mort
. Un parcours où les deux jeunes gens n’auront rien accomplis, auront fait du sur place. Voilà encore un reproche possible à faire à ce film : les héros seraient
condamnés d’avance
, regardés de haut par un réalisateur démiurge qui mépriserait ses personnages. Mais ce n’est pas vraiment le cas, si Lorcan Finnegan condamne le mode de vie, il se garde bien de déshumaniser ses protagonistes en ne les traitant pas comme des rats de laboratoire. Une nouvelle fois, le format du long-métrage se justifie pleinement dans la mesure où il permet de s’attarder encore plus longtemps sur les petits signes d’humanité de nos deux héros. C’est ce format qui nous permet de nous attacher énormément aux deux malheureux héros (avec en plus il est vrai le jeu émouvant et désespéré d’Imogen Poots et Jesse Eisenberg). Il est alors possible de penser à deux (hypothétiques) influences très éloignés l’une de l’autre. Il y a d’abord la plus évidente : ‘’The Truman Show’’ de Peter Weir. Les deux films décrivent deux mondes troublant de ressemblance, deux mondes factices où les héros y semblent enfermés à jamais. Deux univers sont présentés, tous les deux crées de toute pièce et qui s’apparentent volontairement à des décors de cinéma. Même esthétiquement, il est impossible de ne pas penser au film avec Jim Carrey. Les deux metteurs en scène font évoluer leur caméra dans des décors lisses et impersonnels, culminant avec ce ciel complètement fabriqué. Cependant, la vision du monde est plus sinistre chez Finnegan et son scénariste Garret Shanley que chez Weir et son scénariste Andrew Niccol. ‘’The Truman Show’’ montrait brillamment que l’Humain n’était pas claquemuré à jamais dans son petit confort, dans sa petite vie médiocre. Il pouvait s’en extirper et ouvrir les yeux sur le véritable monde (référence très claire au mythe de la caverne de Platon). Lorcan Finnegan bouleverse le propos.
Pour Gemma et Tom, pas de sortie possible
. La vie est réduite à une fatale boucle, un perpétuel recommencement. L’Homme ne peut s’extraire de tous les déterminismes qui le prennent au piège. Pouvant paraître cynique cette idée est malgré tout intéressant et pas forcément fallacieuse (on visualise bien ces banlieues américaines où les habitants ne sortent pas de chez eux et sont complètement coupés du monde).
Et même si tout espoir est vain, l’accomplissement de Gemma et Tom est au moins d’avoir essayés de s’extraire de cette terrifiante réalité
. Mais il est possible de penser à une autre éventuelle influence (plus incertaine il est vrai). ‘’Vivarium’’ par plusieurs aspects peut renvoyer au cinéma d’un certain Michelangelo Antonioni. De toute façon, le film trouve son essence dans cette catégorie de films qui s’acharne à dénoncer toute la fausseté de nos sociétés. Reste qu’Antonioni n’est pas loin, et ‘’Vivarium’’ en emprunte deux motifs. Ce qui caractérise cette réclusion, ce n’est pas seulement le vide engendré, mais aussi l’absence (ou plutôt le dysfonctionnement) de la communication. Certes, ‘’Vivarium’’ le démontre de façon plus littéral (si les films d’Antonioni décrivent la perte de communication dans nos sociétés, cela ne les empêchent pas d’être parfois extrêmement dialogués). Il n’en demeure pas moins que ‘’Vivarium’’ aborde avec rigueur la question de l’incommunicabilité qui peut se créer dans les foyers. C’est lorsque le dialogue est inaudible ou inexistant qu’une société (comme la nôtre) révèle toutes ses tares et que les couples peuvent se défaire (Antonioni en sait quelque chose avec ‘’La Nuit’’ et ‘’L’éclipse’’). Paradoxalement, l’histoire du couple dans ce film
se termine « bien » au moment de la mort de Tom : enfin, la parole est retrouvée dans une fort belle scène
. Antonioni, il est aussi localisable dans cette notion de mystère qui émane de ‘’Vivarium’’. Chez Antonioni, il y a toujours ce moment où la réalité bascule, où l’étrange naît à l’insu de la compréhension de son héros (le meilleur exemple étant bien évidemment ‘’Blow-up’’ où le mystère reste entier à la fin du film et même s’amplifie). Nulle explication n’est donné car la perte de repère doit se maintenir. ‘’Vivarium’’, s’il révèle plusieurs points de l’intrigue, fascine aussi par ses multiples secrets restés enfouis. Secrets laissés à l’imagination du spectateur.
A ce titre, il faut prévenir le spectateur qui n’aurait pas vu le film. ‘’Vivarium’’ n’est pas le polar classique qui contient son lot d’explications en fin de film. Le réalisateur (avec lourdeur sans doute) cherche avant tout à aller jusqu’au bout de sa métaphore quitte à ne pas expliquer tout ce qui se rattache à son univers (
quelle est cette créature ? Que signifient les symboles présents à la TV et dans l’unique livre ?
Beaucoup d’autres questions restent sans réponse…). De tout ça, on peut s’en prendre aux intentions, à la démonstration, à la prétention de l’auteur. Néanmoins, il y a une chose que personne ne peut enlever au metteur en scène : c’est sa confiance absolue au pouvoir du cinéma. Si les premiers films peuvent parfois être flamboyants, il arrive aussi que les premiers films soient timides, peu ambitieux ou maladroits (bref, en manque de confiance). Tout ce que n’est pas ‘’Vivarium’’. Le film affirme haut et fort la puissance de son image. ‘’Vivarium’’ est un grand film grâce à son imagerie. Elle est d’abord vecteur des intentions et du message de ses scénaristes. Contrairement à de nombreux films qui font réfléchir au travers leurs dialogues, ‘’Vivarium’’ fait avant tout réfléchir grâce à l’image. A part le monologue de Tom et 2, 3 lignes de dialogue en fin de film, ce qu’il y a à comprendre et la matière à réfléchir naissent en premier lieu des visuels et de la composition des plans. Nous sommes face à un film magnifiquement composé, inspiré comme l’ont judicieusement fait remarquer des critiques des tableaux de Magritte, dans leurs déformations d’une réalité toujours plus instable. Mais cette confiance absolue, elle est aussi chez les acteurs. Un réalisateur comme Bruno Podalydès disait que les trois choses les plus difficiles à faire quand on fait un film sont : tourner sur de l’eau, tourner avec des animaux et tourner avec des enfants. Et ‘’Vivarium’’ relève la troisième contrainte avec brio. Les jeunes acteurs (entre autres) sont extraordinaires et effectuent des performances pleines de maturité.
‘’Vivarium’’ est donc un film jusqu’au-boutiste, qui en a désarçonné plus d’un. Si on peut le critiquer sur bien des points, le film n’en demeure pas moins une authentique proposition de cinéma, riche en mystères. Ce n’est certes pas du cinéma qui se veut très plaisant, mais sous son apparente vacuité se cache une réelle ambition et une réflexion, le tout redonnant confiance à la puissance de l’image.