Bon, d'abord, il convient de souligner qu'on ne fait pas forcément partie de la vague la plus enthousiaste concernant le premier long-métrage de Jordan Peele, "Get Out". Cette relecture lointaine de "The Stepford Wives" version épouvante et prenant comme base la question d'un racisme hélas tentaculaire d'une société US contradictoire avec ses fondements apparents de métissage était plutôt habile et ne manquait pas de qualités (impossible de nier le talent de mise en scène de Peele notamment, synonyme d'une entrée réussie dans ce registre) mais, soyons honnêtes, le film était parsemé de multiples défauts qui le faisait plus ressembler à une version bien trop longue d'un épisode sympathique de "La Quatrième Dimension" (tiens, tiens,...) qu'autre chose. Que cela soit le twist prévisible à des années-lumière à la ronde sur les véritables intentions d'un certain personnage, le fait de briser sans cesse une ambiance pourtant convaincante en s'attardant sur le point de vue extérieur du meilleur ami ou la folie d'une telle idée n'atteignant finalement que son paroxysme lors des très courts derniers instants, "Get Out" était loin de mériter cette unanimité élogieuse émanant, en particulier, de la critique US bien plus à même de souligner l'audace et la force de la thématique au coeur de cette première oeuvre. Bref, si on ne partageait pas l'engouement extatique autour du film, on l'avait tout de même apprécié grâce à la naissance inattendue d'un cinéaste on ne peut plus prometteur et on attendait bien entendu "Us" au tournant pour avoir la confirmation de nos espoirs horrifiques placés en lui...
Encore une fois, avec la thématique de doubles apparaissant dans notre réalité pour une raison obscure, l'esprit de "La Quatrième Dimension" (re- tiens, tiens...) règne dans ce deuxième long-métrage et cela va d'ailleurs constituer une de ses plus grandes forces.
Complètement conscient de ce mélange de fascination et de peur primaire de "remplacement" que peut exercer une telle idée, Jordan Peele va se reposer sur le pouvoir d'attraction indissociable de cette étrangeté et, cette fois, exacerber pleinement la folie que représente cette chute dans un terrier rempli de lapins blancs et d'effets de miroir (oui, les allusions à Lewis Caroll sont légion). À travers cette famille dont les vacances sont mises à mal par l'arrivée de leurs dopplegängers malintentionnées, la partie centrale du film (la plus réussie) va constamment jouer sur le mystère entourant ces intrus en multipliant les confrontations avec leurs proies. D'abord en groupe puis chacun en face-à-face et enfin avec des éléments extérieurs, "Us" prend toujours le temps d'exposer la vision cauchemardesque et mentalement absurde que représentent ces doubles maléfiques aux traits de caractère déformés et reliés à leurs jumeaux (jusque dans leurs armes, les PAIRES de ciseaux ne sont pas un hasard) pour ensuite les opposer dans une explosion de violence à leurs versions dites normales. Et ça fonctionne de tous les diables car, au-delà du concept captivant, en tant que simple home invasion, le film garde toujours une part d'imprévisibilité dans la progression et l'issue de ses confrontations, une donne assez rare de nos jours qui mérite d'être saluée. Il faut ajouter à cela la qualité de l'interprétation du quatuor familial, tous parfaits pour faire contraster la dualité de leurs versions avec une mention évidente à Lupita Nyong'o et aux enfants (on notera également qu'Elizabeth Moss semble vraiment s'amuser à explorer cette notion de "double" en étant pour la seconde fois à l'affiche d'un film où il en est question après "The One I Love").
Enfin, au niveau des bons points, il convient aussi de relever qu'au contraire de "Get Out", le fait que le film se focalise sur une famille afro-américaine n'est pas une composante déterminante dans la poursuite du récit. Le dernier acte (sur lequel on va revenir) va certes adjoindre au propos un sous-texte que l'on pourrait interpréter à la lumière d'une minorité enchaînée dans l'ombre (dur de trop en dire...) mais il s'agit avant tout d'une famille lambda prise au coeur d'un événement extraordinaire et ce, quelque soit sa couleur de peau. Le fait de ne jamais le souligner en traitant ces personnages comme n'importe quels héros de film d'horreur est d'ailleurs un bien plus fort moyen d'expression sur ce qui devrait être une norme n'étonnant plus personne au contraire du message plus agressif découlant d'un "Get Out".
S'il ne loupe pas le coche pour retransmettre l'irrésistible séduction fantastique de son sujet, "Us" est cependant loin d'être exempt de tout défaut.
Comme "Get Out", Jordan Peele a un vrai problème pour construire et créer réellement la surprise avec ses twists et c'est même pire sur la nature d'un personnage dans "Us". Pour résumer sans trop s'étendre, on peut tout simplement comprendre une révélation des derniers instants du film dès ses premières minutes (vraiment, on vous l'assure !), c'est tout de même la preuve d'un énorme souci au niveau de l'écriture, comment les scénaristes n'ont pas pu se rendre compte d'une telle évidence ?
De plus, il y a ce dernier acte explicatif que l'on hésite à aborder avec soit une bienveillance naïve, soit accompagné d'un "Oh, Jordy, tu nous prends vraiment pour des jambons ou bien ?!"... Certes, il est sans doute difficile d'apporter des éclaircissements vraiment originaux à la provenance de dopplegängers dans une histoire de ce type et il faut reconnaître que "Us" a le mérite d'y parvenir en créant un univers somme toute inédit (et métaphoriquement pas si bête vis-à-vis de la société américaine aka "US" comme on l'a déjà évoqué) mais cela se fait au prix d'énormes couleuvres -enfin, à ce stade, on peut parler de boas constrictors- à avaler tant il faut fermer les yeux pour ne pas entrer dans des détails qui ne feraient pas tenir le film debout. À vous de voir si vous préférez voir le verre à moitié plein ou à moitié vide sur ce plan, nous, on hésite encore...
Comme son grand frère, "Us" est donc un film d'épouvante teinté de noirceur et d'humour avec beaucoup de qualités mais aussi des fautes de parcours bien trop grossières pour être pardonnables. On préférera bien entendu en retenir les premières comme ce tour de force d'offrir tout de même un film de doubles maléfiques ne ressemblant à aucun autre (ce n'était pas une mince affaire) et l'atmosphère si parfaitement étrange enveloppant un tel phénomène difficilement concevable pour un esprit cartésien. Dans un sens, on dirait presque un parfait CV pour prendre les commandes d'une nouvelle version de "La Quatrième Dimension" où Jordan Peele aurait de meilleures chances de faire un carton plein sur un format plus court.
Re- re- tiens, tiens, c'est justement très bientôt le cas...