Jordan Peele en aura fait du chemin depuis "Key & Peele" !
Après le méga succès de "Get Out" (qui repartira avec l'Oscar du meilleur scénario original), pépite singulière et unique qui le propulsa en tant que véritable auteur à suivre d'un cinéma de genre qui oscillait entre le thriller, l'horreur mais aussi le comique et le politique. Il revient donc 2 ans après avec "Us", une nouvelle proposition bien radicale.
Dôté d'un budget presque 5 fois supérieurs aux "5 petits millions" de Get Out, Jordan Peele laisse peu d'ambiguïté sur la nature de son film dès son introduction en 1986 : une petite fille égarée dans une fête foraine, et où au travers de quelques plans évocateurs et d'une réalisation extrêmement maîtrisée on va basculer vers le cauchemar pur et simple.
Très vite on retrouve cette jeune fille innocente du nom d'Adelaïde Wilson, 30 ans plus tard et un stress post-traumatique en plus, avec son mari Gabe et ses 2 enfants (Zora et Jason), qui reviennent à Santa Cruz pour y passer un été vacancier, sur les lieux de son enfance.
La légèreté et l'engouement avec lequel on apprend à connaître cette famille de la middle-class, au moyen d'une caractérisation sans bavure,laissera très vite place à une inquiétude sourde et un malaise ambiant des plus prononcés (à la manière d'un Stephen King, d'un Richard Matheson ou même de Get Out).
Le tout va rapidement dégénérer à l'arrivée du point de rupture, où la famille Wilson va se voir confronter à des doppelgangers maléfiques vêtus de rouge, dans une scène d'home invasion éprouvante et prenante que Michael Haneke n'aurait pas renié.
Entre Funny Games, Halloween, l'Antre de la Folie, It Follows, Shining, les Oiseaux et j'en passe...."Us" est un film de cinéphile assumé aux multiples influences, mais le tout nourri d'une intelligence et d'une identité folle, qui sous ses promesse balisées réussit à désarçonner les attentes du spectateur via un savoureux mélange d'horreur, d'absurde et d'idées de mise en scène.
En résulte un vrai dynamitage des codes du genre qui va crescendo au fur et à mesure de l'avancée du film : de film de maison hantée au home invasion donc, jusqu'au slasher ultra efficace en passant par le trip existentialiste avant de dérailler vers des thématiques de fin du monde ou de purgatoire angoissant sous hallucinogène (le fantôme de Silent Hill et Twin Peaks est pas loin, d'autant que la direction artistique aux petits oignons du film a été confiée à Ruth de Jong, derrière celle de la saison 3 de Twin Peaks).
Cette réinvention constante tient bien sûr de l'écriture et de la direction générale du film, oùla caméra de Peele couplée à la superbe photographie de Michael Gioulakis (Under the Silver Lake, It Follows, Split, Glass) nous gratifie de plans méticuleusement composés et habités par un semblant de noirceur enfouie (l'héritage de King ou Rod Sterling n'est évidemment pas loin, dans la capacité à utiliser les motifs du quotidien pour en extraire le caractère étrange ou inquiétant). Point de jumpscare, l'horreur infuse des cadres
Là où le film surprend également est la manière de faire cohabiter l'horreur pure et un humour savamment dosé (venant beaucoup de Winston Dyke/Gabe en patriarche bon vivant qu n'est heureusement pas réduit à un rôle de comic relief, mais qui réussit à véhiculer la peur à la réaction humaine face à l'étrange de manière ludique et savoureuse sans sacrifier les enjeux et ses aboutissants). Certaines séquences sont si grinçantes, mais également liée à une telle vision d'horreur, qu'il se produit un décalage d'une nouvelle nature particulièrement bienvenu (iln'y a qu'à regarder l'utilisation que Peele fait de morceaux des Beach Boys ou de NWA pour s'en convaincre
La musique de Michael Abels (dont il s'agit seulement de la 2e composition après la BO de Get Out) est impériale : tantôt crypto-mystique ou tonitruante, et ce dès l'introduction ou encore le formidable thème principal qui hante encore après le visionnage, le tout participe vraiment à l'architecture générale du film, tout en magnifiant certains passages que je ne divulguerai évidemment pas.
En parlant du casting : il est impeccable !
Si les enfants (joués par Shahadi Wright-Joseph et Evan Alex) sont excellents (ainsi que les seconds rôles, de Elisabeth Moss à Tim Heidecker en passant par Yahya Abdul-Mateen II), celle qui brille est évidemment Lupita Nyong'o, dans une double performance incandescente qui force au respect (l'Oscarisée pour 12 Years a Slave nous gratifie encore une fois d'un acting mémorable
Car évidemment chaque acteur habite son personnage, mais joue également son double, de manière totalement opposée, sortes de versions grossières, sadiques, terrifiantes, mais également humaines qui apportera son lot de surprises.
Sortes de nouveaux freaks mémorable du cinéma d'épouvante, leur présentation en impose et coupe le souffle,véritables véhicules de terreur enfouie, semblant tous sortis du même moule mais ayant chacun leur individualité.
Chaque scène est d'une inventivité rare, couplée à une richesse scénaristique folle dans des allures de folie labyrinthique au sous-texte bien plus implicite et obscur que pour Get Out, à l'image de la manière qu'a Peele de construire une mythologie dès le carton d'introduction, en puisant dans l'imaginaire collectif, les faits divers ou historiques, couplée à une critique sous-jacente de l'Amérique créée sur la destruction d'autrui et des sous-classes abandonnées, ou encore d'un vivre-ensemble à la vision diabolique (comme le dit le réalisateur, notre pire ennemi c'est nous)...
"Us" est un film riche, et c'est avec regret qu'on le voit échapper au sans-faute et à la proposition parfaitement exécutée, à cause d'une petite poignée de scènes un brin explicatives qui n'étaient pas nécessaires (en particulier sur sa fin puissante) et qui nuisent au mystère général et à la force du récit. On espère que ses séquences ajoutées au dernier moment dans le montage (comme la fin alternative de Get Out) retrouveront leurs lettres de noblesse par le montage initial.
Quoiqu'il en soit, "Us" est un nouveau pari gagné pour Jordan Peele, dans cette oeuvre radicale et multi-référencée, brillamment réalisée et interprétée pour un résultat tout simplement unique, prenant et inventif.