Cette critique se base sur des éléments de compréhension clés du film révélés dans sa dernière demi-heure.
Jordan Peele est décidément très proche d'un autre cinéaste moderne à la carrière particulière, le réalisateur de Donnie Darko, Richard Kelly, qui dès son deuxième film, le délire métaphysique Southland Tales, avait perdu son public et le sens de son oeuvre, s'enfermant dans une expérience incompréhensible aux réflexions extra-spatiales et temporelles complètement incohérente et perchée, loin de la réussite formelle de l'excellent Donnie Darko.
C'est avec Us que Peele se rapproche de Kelly : apparu avec la très bonne surprise Get Out, film de genre sans prétention qui nous posait un concept original et propice à un thriller horrifique efficace, il était nécessaire, pour assoir véritablement sa réputation de jeune vedette du cinéma de genre politiquement orienté. C'est pour cela que deux ans plus tard sortait US, nouveau film à l'idée de base très originale et censément promesse d'une nouvelle partie de plaisir coupable.
Voilà qu'il s'ouvre sur une première scène de flashback gérée de main de maître nous proposant, dès ses cinq premières minutes, l'une des plus belles séquences trouvables dans le cinéma à tension actuel, faîte de jeux miroirs et d'une gamine perdue, de cette photographie magnifique couplée au sens du rythme unique de son réalisateur extrêmement talentueux qui détruit la séquence pourtant très réussie du deuxième Ca d'Andy Muschietti.
S'ensuit une longue demi-heure d'exposition de personnages étrangement stéréotypés, de cette famille certes réaliste mais trop qualifiée par des éléments d'attachement pathos pour qu'on puisse les penser réalistes, des grands sourires niais à l'image superficielle de la famille américaine solide et soudée, forcément parfaite puisqu'heureux et socialement jolis, moralement justes. L'on tient ici des héros construits selon les codes bourrins des années 80, choix finalement logique quand on sait qu'il s'est déroulé à cette époque.
Paradoxalement, c'est aussi ce travail simpliste de caractérisation des personnages qui les rend à ce point attachants et fait, finalement, qu'on sait de qui on parle, qu'on connaît leur personnalité, leurs craintes, ce dont il sont capables dans pareille situation et qu'on peut être impressionné de leur évolution dans l'ultra-violence et l'instinct de survie, évolution qualifiée par deux scènes primordiales pour la mesurer : la première dans leur maison respective, puis celle dans l'habitat de leurs voisins, stéréotypes inversés d'une famille prétentieuse, richarde et vulgaire, primaire et seulement basée sur l'excès, la consommation en guise d'écrasement social et de preuve de leur supériorité de moyens, de culture et, de fait, de vie.
La première, qui arrive au bout d'un certain temps, marque un grand coup : suite logique de Get Out, elle explose toutes les attentes de suspens et de frayeurs. Peele la filme admirablement bien, instaure une puissance dans les coups et de sacrés moments d'appréhension à l'idée qu'un seul membre de la famille ne se fasse coincer par ces hommes en miroirs, prétexte pour filmer ce qu'il sait le mieux mettre en scène : les visages comme masques du vice et de l'horreur qui cachent toute la misère et la douleur de l'Homme, véritables dessins sur pellicule qu'on sait marquants dès l'affiche du film, où son actrice principale, l'excellente Lupita Nyong'o campera deux rôles complémentaires dans la compréhension de l'oeuvre.
C'est en cela que Us était le plus réussi; battit sur un concept prometteur, celui du miroir qui révèle l'inhumanité, il construit son film en écho de scènes ou d'idées, qu'il manipule avec talent au point d'en changer la signification sur quelques détails bien trouvés. Ainsi, la scène d'intro conduira forcément sur une relecture finale, tout comme la première attaque conduira sur une autre, celle des voisins idiots, clichés du blanc de la haute.
Outre le fait qu'il est, vous l'aurez compris, beaucoup moins habile et juste sur sa critique sociale que le volet précédent, Us fait également l'erreur de montrer l'attaque des voisins en une fraction de seconde, créant un décalage terrible entre son propos argumentatif (la rencontre du double qui déconstruit les certitudes autour de longs dialogues vicieux) et ses envies de divertissement grand public (ce que réussissait Get Out).
Si Peele avait décidé de ne pas montrer l'attaque, de laisser le spectateur découvrir le carnage en même temps que le personnage d'Adelaide Wilson, l'impact qui s'en serait ensuivi aurait décuplé le sentiment de malaise de ces doubles terrifiants, en plus d'embrasser une idée phare de Get Out (et du cinéma d'épouvante en général), la suggestion comme recours à l'imagination et aux frayeurs. Désireux de tout montrer en étalant toujours plus son sang sur les corps et le sol, Peele perd le spectateur venu chercher sa finesse en le renvoyant chez lui bourré d'images certes explosive mais jamais aussi bien composées que celles de sa première partie, qui prenait le temps de faire les choses.
Cette perdition dans la narration, débutée au moment où l'on ne suit plus le personnage principal, est censée participer aux incertitudes présentes tout du long mais ne fait qu'enfermer l'oeuvre dans son délire planétaire absurde et balancé brutalement alors que les 45 premières minutes relevées d'une finesse intéressante et allant crescendo, où l'on ressentait une impatience à voir la scène suivante.
Comme pour plaire au grand public, comme pour prouver qu'il est capable de fasciner de manière encore plus inventive qu'avec son premier essai, le réalisateur propulse son film du côté des films d'action/thriller d'épouvante qui suivent tous une logique précise et codifiée, où les répercussions sur les personnages et les scènes de combat qui s'ensuivent obéissent sans exception à un schéma si bien rodé qu'on ressent trop souvent l'effet de listing à respecter pour intéresser le spectateur et lui donner ce pour quoi il a payé.
Peele va même jusqu'à se perdre dans les thématiques employées, trop nombreuses pour qu'elles soient toutes maîtrisées; plutôt que de faire peu et d'exceller, il aura décidé de tout faire sans rien proposer de véritablement abouti. Que ce soit pour la thématique familiale, les rapports parents/enfants, le rapport de l'enfance à la mort ou le soulèvement de réflexions religieuses couplées à des questionnements sur ce qui nous qualifie d'humains, rien de tout ce qui sera abordé dans le film ne trouvera de point final en fin de bobine, du fait justement qu'il n'est pas parvenu, ce coup ci, à allier propos et expérience divertissante.
Il va même jusqu'à rajouter une nouvelle couche de spectaculaire et de thèmes à traiter, en balançant dans sa dernière partie tout un bordel de science-fiction sur fond d'expérimentations scientifiques qui jurent cruellement avec l'approche jusqu'ici religieuse du film, et rend ses deux premières parties de réflexion entièrement caduques, puisque celle ci ne tente même pas de faire un lien entre religion et sciences dans les explications de ce phénomène planétaire difficilement explicable de manière réaliste, et qu'il essai d'expliquer de manière réaliste sans se dire qu'une seule sortie montrée visuellement ne suffit pas à envahir une planète entière (détail qu'il aura comme tenté de corriger en post-prod avec l'ajout d'un petit texte sur fond noir censé nous rappeler que beaucoup de souterrains désaffectés se trouvent dans la ville de résidence de nos personnages; toujours pas montré à l'écran, cela reste complètement incohérent et impossible à réaliser).
Tous ces défauts d'écriture, cette profonde dissonance entre la forme et le fond se rejoignent dans sa dernière demi-heure, ou la mise en scène, si ce n'est pour l'affrontement final, perdra son inspiration en même temps que l'écriture tout son sens, faisant ce que j'expliquais en début de film : cataloguer, pour l'instant, l'ami Peele comme un nouveau Kelly, un autre Shyamalan trop soucieux de montrer qu'il est novateur pour l'être de nouveau de manière maîtrisée. En témoigne son prévisible twist final, que le début laissait déjà prévoir et qui laisse sur une dernière note de rebondissements perpétuels, ultime preuve que Us aura été, de sa première à sa dernière minute, un exercice de style principalement utile pour prouver que Get Out n'était pas qu'un coup de chance de débutant.
A le voir, on se dit tristement qu'il faudra un troisième pour attester de cette théorie, ou la réfuter. Serait-il possible qu'il se perde comme Kelly? Affaire à suivre.