Encore un de ces films du "cinéma indépendant" américain qui vous laissent babas, par leur originalité, leur personnalité, leur profondeur. Avant le visionnage, vous avez du subir les BA de divers "chefs d'oeuvre" franchouillards: Climax, L'amour est une fête, Alad2 dont la seule vision imposée vous fait sentir sale....
Debra Granik, on la connait déjà par le magnifique Winter's bone qui lui aussi, nous immergeait dans la nature, la forêt... Leave no trace est encore plus fort, plus puissant, plus oppressant aussi.
Tom (Thomasin McKenzie) et son père Will (Ben Foster) vivent dans la forêt. Dans un parc national de l'Oregon. Pas de sentier pour parvenir à leur campement. Juste une trace au milieu des fougères. Là, une tente, un réchaud, une toile pour protéger quelques vêtements ou provisions, une encyclopédie, un jeu d'échecs.... Une cachette pour les outils. De temps en temps, il faut aller à la Portland pour les provisions de base, pâtes, haricots.... et retirer de l'argent; on suppose -car rien n'est souligné; on est dans le flou- que Will a une petite retraite d'ancien combattants. Dans la forêt vivent aussi d'autres anciens du Vietnam. Incapables de retourner dans le monde, de côtoyer ceux qui n'ont pas vécu les mêmes horreurs.
Le père et la fille forment un petit couple fusionnel. Ils me font penser à ma chatte et à son petit, alors même que celui ci est devenu un ado, un chatdo si vous voulez. Sans doute Tom n'a t-elle aucun souvenir d'une autre vie. Sans doute, sa mère est elle morte depuis longtemps. Pour Tom cette vie là est la plus belle. Will lui a bien dit qu'ils n'étaient pas comme les autres.
Mais on n'a pas le droit de camper dans un parc national, et les rangers finissent par les débusquer. Les autorités les traitent avec beaucoup d'humanité: ils constatent que Tom est instruite, que son intelligence est parfaitement développée. On trouve à la fille et au père une petite maison isolée, et à ce dernier un job dans une plantation de sapins. Will commence par mettre la télévision et le téléphone dans un placard, mais semble s'adapter à cette nouvelle vie. Tom découvre l'école, et cela lui plait. Elle commence même à se faire un copain, un garçon de son âge qui élève des lapins de concours.... Jusqu'au jour où Will débarque avec les deux sacs à dos. On s'en va. Ils veulent nous enrôler, nous embrigader, fais ton sac, on part.
Et pour ne pas se faire rattraper, il faut quitter l'Orégon, passer dans l'état de Washington où les conditions climatiques sont bien plus rigoureuses. La fuite risque de tourner au drame, père et fille s'en sortent grâce à une petite communauté de marginaux qui vivent dans des mobil-homes, dans la forêt, et là, Tom se sent vraiment bien, pense qu'ils vont s'enraciner, jusqu'au jour où Will reparaît avec les sacs....
Après le policier borderline de Thunder Road, encore une variation psychologique autour d'une personnalité perturbée, mais celle de Will nous touche beaucoup plus. Pourquoi cette fuite? Pourquoi ce rejet de la civilisation? Pourquoi cet homme cultivé, intelligent, calme et doux n'est il apaisé que dans la rusticité d'une vie inconfortable au plus profond des forêts? Pourquoi ce sentiment d'être différent? Sûrement, comme je l'ai déjà écrit, à la suite de traumatismes liés au Vietnam mais il n'y a ici aucune psy en gros sabots. Juste des photographies d'un homme qu'on ne peut condamner en dépit de ce qu'il fait vivre à sa fille. Mais combien de temps Tom, qui découvre les autres et s'aperçoit qu'ils ne sont ni méchants, ni très différents, suivra t-elle son père chéri dans cette fuite sans but?
C'est magnifique; c'est de la dentelle. Subtil et inteligent. A voir absolument