"L’ombre de Staline" (titre original "Mr Jones") est un film sombre et brillant à la fois. Sublime et désespérant. Un régal. Excellence de la réalisation (Agnieszka Holland), plus excellence des acteurs : ses deux points forts ? Pas de point faible, semble-t-il, si ce n’est quelques hypothèses dans l’histoire (so what ?!), et le fait que le film semble avoir du mal à faire son chemin à cause du contexte actuel (confinement). Mister Jones est un lanceur d’alerte britannique du temps où deux monstres surgissaient dans les années 1930 (Hitler et Staline). Mr Jones est pourtant un éteignoir ("rather dull"), comme le lui reproche l’ex-prix Pulitzer Duranty, "bien installé" à Moscou. Rien de James Bond. Tout-à-fait dans les cordes du pasteur de la série Grantchester (James Norton). Il aime ainsi évoquer un ancien mythe gallois, "le Combat des Arbres" (The Battle of the Trees), où un mage transforme les arbres en guerriers après que "le vol d’un chien, d’un vanneau et d’un chevreuil" ait provoqué une guerre. Un poète. C’est pourtant ce Mr Jones (qui ne fera pas long feu dans la réalité historique), qui fait la couverture de l'Holodomor (la grande famine ukrainienne des années 30). La faim est littéralement filmée. On voit les recours dramatiques qu’elle crée chez les gens. On entend mâcher. Le film devient alors quasiment noir et blanc, alors que peu avant, les lumières éclairaient les écarts orgiaques d’un monde désinvolte, voire collabo, Duranty en tête, où l’on entend dire : que signifie "dérangé" dans un monde "dérangé" ? Lumières d’époque, lumières de circonstances, justesse des dialogues, perfection de l’anglais, choc des images : une réalisation extrêmement soignée, disions-nous. Et sur le fond, cela donne tellement à réfléchir. Sur le fond, il n’est même pas imaginable aujourd’hui, qu’un journaliste aille aussi loin pour rapporter les faits, que les faits –la vérité. La cerise que le gâteau, pour certains, ce sera de voir l’auteur de "1984" (Orwell), qu’on rencontre ici et là, tisser la trame du drame alors qu’il a l’idée d’écrire son fameux livre "La ferme des animaux". A.G.