Agnieszka Holland a travaillé avec Andzerj Wajda et Kryzsztof Kieslowski. Bonne école! Qui lui a valu ensuite une carrière internationale (Europa Europa) Avec l'Ombre de Staline, elle fait revivre avec brio une époque dont seuls les plus anciens se souviennent: celle où tous les peuples béaient d'admiration devant les réussites économiques du camarade Staline.....
Elle s'inspire de la vie d'un personnage ayant réellement existé, disparu bien jeune en Mongolie -et dans des conditions douteuses, Gareth Jones, brillamment interprété par James Norton qui lui prête un petit côté chien fou, un peu déconnecté de la réalité, Chouchou de Lloyd George (Kenneth Cranham) dont il est le conseiller pour les affaires internationales, ce Tintin du journalisme (fait d'arme: il a interviewé Hitler! donc, il interviewera Staline! Ben voyons!) se pose une question simple: l'URSS a construit une industrie chimique, une industrie métallurgique à partir de rien.... mais d'où vient l'argent? Alors, il veut aller y voir! Et découvre que la vie des journalistes internationaux à Moscou se déroule dans une sorte de prison à ciel à peine ouvert, écoutés, surveillés... Interdiction de quitter Moscou, naturellement, et quant à Gareth dont la présence n'est pas particulièrement souhaitée, on lui assigne un (bel) hôtel, et pour deux jours seulement. S'adresser à un autre hôtel? Ils sont complets.... Mais par contre, les journalistes bien en place, ceux qui ne cessent de vanter les réussites soviétiques, comme Walter Duranty (Peter Sarsgaard), correspondant du New York Times et prix Pulitzer, s'ils vous plait, mènent la belle vie et organisent des fêtes très trans-genres qui ressemblent plutôt à des orgies avec éphèbes et putes (voilà une facilité dont Agnieszka eut pu s'abstenir; première petite critique. Pauvre Duranty! quel portrait!) Avant de mourir dans des conditions très étranges, un confrère lui dit de s'intéresser à l"or jaune"... Notre Tintin part donc dans des conditions rocambolesques en Ukraine. Et là, il découvre l'Holodomor, la grande famine -l'horreur. Tout le blé de ce grenier de l'URSS part en Russie. Les morts -morts de faim- sans sépultures gisent dans la neige. Des bébés encore vivants sont jetés à la fosse commune avec leur mère, alors que d'autres enfants sont dévorés après leur mort par leur fratrie... Et là, je ferai une seconde petite critique (qui n'en est pas vraiment une, d'ailleurs...) à ce film passionnant et magnifique: c'est trop beau. Cette seconde partie, quasiment en noir et blanc, est une succession d'images sublimes. Tellement sublimes que l'horreur de la famine, nous l'oublierions presque.... Le jeune homme, lui même affamé, erre dans ce cauchemar sans que personne ne prête attention à sa présence.
Gareth s'en sort. Chantage à l'appui: s'il révèle ce qu'il a vu, six ingénieurs britanniques accusés d'espionnage, condamnés à mort, seront exécutés. De toutes façons, la parole du grand Duranty, qui professe que la famine en Ukraine n'est que mensonges de vilains propagandistes anti-soviétiques, pèsera bien plus lourd que celle de notre apprenti journaliste.
Pourtant, quelqu'un le croira: George Orwell (Joseph Mawle) qui s'en inspirera pour écrire La ferme des animaux....
Le film est passionnant, historiquement révélateur d'une myopie collective.... Les images du Moscou de ce temps, avec ses immeubles officiels lugubrement mastocs sont impressionnantes. Elle sait filmer, Agnieszka, avec une recherche d'images, une sophistication certaine qui, comme je l'ai déjà laissé entendre sont admirables mais en même temps peuvent détourner l'attention du sordide de la situation. Enfin il faut vite, vite aller le voir avant que d'autres films arrivent!!