Clôture d'une trilogie initiée avec "Incassable" et poursuivie avec "Split", "Glass" fait non seulement la synthèse idéale des deux premiers films et trouve en plus une place cohérente dans l'oeuvre de Shyamalan, cinéaste malicieux, sentimental et politique. Le tour de force majeur du film, pied de nez aux faibles propositions de décors des productions Marvel, est de réunir les trois super-héros dans un hôpital psychiatrique, soit le lieu par excellence où l'administration exerce un contrôle total sur ses patients. Mais loin de cantonner le politique à un discours surplombant, quand bien même le film est très bavard – parfois à la limite de l’écœurement –, Shyamalan utilise deux régimes d'images afin de représenter deux rapports au pouvoir, que sont sa domination et sa soumission : d'une part, la caméra numérique, qui fait littéralement face aux personnages – à moins que ce ne soient eux qui la défient –, impulsion d'une image subjective dans la mesure où elle exprime le regard du cinéaste sur ses protagonistes – regard frontal qui manie brillamment l'empathie et l'ironie; de l'autre, les caméras de surveillance, qui permettent le contrôle du docteur Staple sur ses patients : prisonniers d'un lieu mais aussi d'une image, ces derniers ne peuvent libérer leur puissance et doivent se résoudre à rester ordinaires, soit l'exact contraire de leur nature. L'enjeu décisif du film, qui n'est pas l'affrontement entre Dunn et la Bête (nouvelle roublardise géniale de Shyamalan que d'échapper à ce duel trop attendu), est bien la bataille de ce pouvoir de l'image qui porte en elle deux issues diamétralement opposées : convaincre ces super-héros qu'ils s'illusionnent et ébranler non seulement leur foi, mais aussi la croyance de leurs proches (Joseph Dunn, la mère d'Elijah, Casey) et celle du spectateur (est-ce que ces personnages que nous avons aimés – que nous aimons – sont réellement exceptionnels ?) ou dévoiler à la face du monde le potentiel de ces êtres déchirés qui veulent, à leur façon, exister en réalisant quelque chose de grand. C'est seulement à partir de cette guerre de l'image et des tensions qu'elle engendre que peut naître une émotion à la fois propre au film et liée à "Incassable" et à "Split" : Syamalan oppose à la volonté de destruction d'un pouvoir obscur une mise en scène d'une limpidité éblouissante qui s'attache à réunir les proches du trio central dans un même plan, à en faire un groupe solidaire par la force de la situation, ou à les rapprocher de ces êtres marginalisés qu'ils aiment par dessus tout dans des plans serrés d'une puissance émotionnelle considérable,
à l'image de l'ultime scène qu'ont en commun Kevin et Casey, la jeune femme attendant le moment où la Bête laissera une dernière fois la lumière au petit garçon meurtri sur le point de rejoindre l'ombre pour toujours.
Si ce type de moments mélodramatiques peut paraître appuyé – il pourrait même être carrément lourd –, il touche ici parce qu'il transmet la foi de Shyamalan en l'émotion, sa conviction qu'un gros plan peut bouleverser un spectateur, que ce dernier n'aura cessé de croire aussi bien en Dunne qu'en Kevin ou Elijah. Film aussi redoutablement malin, en partie parce que le cinéaste ne renonce pas à ses légendaires twists, dont l'un connecte sur un mode spectaculaire les trois films de la trilogie, "Glass" ne fait pas dans la suggestion : l'abondance d'explications n'est pourtant pas un problème puisqu'elle va toujours dans le sens de la surprise, du plaisir de la révélation et de l'étonnement qui l'accompagne. Belle conclusion d'une trilogie singulière, "Glass" remet au goût du jour le talent heureusement intact d'un cinéaste important, capable de mêler finesse politique et tendresse enfantine à travers une mise en scène diaphane.