Prévue de longue date par le réalisateur, cette suite d’Incassable arrive pratiquement deux décennies plus tard, alors même que le public avait répondu présent et que les critiques étaient bonnes. Constatant que M. Night Shyamalan n’a connu qu’un seul échec en salle, immédiatement rattrapé ensuite, cette longue attente est étonnante. Plus encore, le twist de fin de Split nous révélait son statut de seconde partie d’une trilogie prenant fin ici, et le film eu un énorme succès en salle, et malgré tout Glass nous arrive avec un budget représentant un sixième de celui d’Incassable en tenant compte de l’inflation. Pourquoi tant de difficultés à financer un film de super-héros si attendu dans une ère où ils dominent tant le box-office ? Eh bien parce qu’à nouveau, le film se refuse d’en devenir un.
Dix-neuf ans se sont écoulés et David Dunn (Bruce Willis) a pleinement endossé son costume de protecteur de Philadelphie, traquant les criminels de sa ville dans sa parqua verte. Alors qu’il était en proie avec Kevin Crumb (James McAvoy), le psychopathe aux multiples personnalités, qui aime capturer et tuer de jeunes filles (seule Casey (Anya Taylor-Joy) avait réussi à lui échapper), capable de se transformer en bête féroce, tous deux seront arrêtés et envoyés dans un hôpital psychiatrique géré par Elie Staple (Sarah Paulson). Comme pour son autre patient Elijah Price (Samuel L. Jackson), elle va essayer de leur faire prendre conscience que les super-héros n’existent pas.
Alors que Incassable avait un potentiel énorme, mais était gâché par ses personnages trop mous pour prendre des décisions, faisant que l’histoire s’achevait avant même que David ne devienne le héros qu’on attendait, Split décevait à son tour par une écriture trop classique, aboutissant à une narration prévisible. Sans aller jusque dans une démesure à la Chronicle en terme de pouvoirs, on attendait fébrilement le tout premier super-héros ordinaire de l’histoire du cinéma, aux supers-pouvoirs modestes, non milliardaire et avec une réalisation extrêmement esthétisée mais néanmoins réaliste, comme pour nous donner l’illusion que des êtres exceptionnels peuvent se cacher parmi nous. Comme à son habitude, le réalisateur fait un excellent travail de mise en scène, réutilisant ses codes couleurs par personnage, travaillant extrêmement bien son suspense sur la question de la légitimité des supers-héros et la véracité de leurs supposés dont extraordinaires. Un choix de piste néanmoins douteux, car rendre banals ses protagonistes enlèverait tout l’intérêt du film, d’autant que la justification réelle arrivera comme un cheveu sur la soupe.
Place maintenant aux spoilers pour expliquer tout ce qui ne va pas dans ce film, détruisant sa propre démarche et anéantissant tout son potentiel par des choix qui n’en ont pas forcément été. Traînant beaucoup trop sur la longueur avec des manipulations de Elijah qu’on comprend mal comment elles ont pu passer inaperçues dans un endroit si surveillé, le film se met lui-même en danger en laissant entrevoir la possibilité que tout ça soit bidon et que les supers-pouvoirs n’en sont pas. Puis finalement, le film semble déclarer solennellement que leurs pouvoirs sont réels, annonçant au passage un affrontement dantesque qui aurait pu être une apothéose grandiose, pouvant à la fois ouvrir la porte à des suites ou au contraire conclure admirablement le tout, mais difficile d’y croire avec un budget si minimaliste. Et pour cause, le combat épique n’aura pas lieu. À la place, une bagarre sans envergure sur un parking vide où tour à tour les trois personnages phares vont mourir de façon pitoyable : Elijah à cause d’un coup fatal de par sa maladie des os de verre, Kevin par un simple tir de police, et David va se noyer dans une flaque d’eau. Trois morts lamentables avec derrière deux twists sortis de nulle part et à l’impact risible : une société secrète cachant les surhumains, mais finalement tout ça n’aura servi à rien parce qu’Elijah aura tout anticipé et balancé sur internet des « preuves » de l’existence des supers héros. Oui mais non, tout ce que l’on voit c’est le combat mollasson sur le parking où les démonstrations de force n’ont rien de surhumain (même sans équipement nombre d’athlètes peuvent soulever jusqu’à 300 kg, soit suffisamment pour soulever une partie d’une voiture). Alors oui, ce que l’on voit n’est pas à la portée du premier venu (surtout la porte en métal), mais ça reste du domaine du possible, donc pas de quoi rendre crédible aux yeux du monde entier l’existence de personnes aux capacités hors du commun.
Bref, malgré un casting énorme – assez en forme d’ailleurs -, une réalisation léchée, d’excellentes musiques et un concept passionnant, le film n’est pas la réussite tant attendue. Entre un rythme poussif, des incohérences de partout, des promesses non tenues et un scénario qui ne cesse de décevoir avec un final incroyablement mauvais, l’espoir s’est définitivement éteint autour de cette saga au potentiel colossal qui n’aura jamais eu droit à un traitement digne de son envergure.