Gareth Evans, c'est bien sûr un nom qui évoque deux "Raid" intenses de bastons filmées avec une virtuosité qui a mis tous les fans du genre à genoux mais les connaisseurs l'associeront aussi à "Safe Haven", segment bluffant de "V/H/S 2" sur une secte indonésienne particulièrement flippante. Évidemment, avec son pitch et ce générique d'ouverture où un chant lugubre pose en quelques secondes le ton du film, "Apostle" nous fait immédiatement pensé au coup d'essai réussi d'Evans dans l'horreur avec un contexte néanmoins très différent...
En 1905, Thomas (Dan Stevens), un jeune vagabond toxicomane, est obligé de se reprendre en main afin d'aller sauver sa soeur kidnappée par une mystérieuse communauté religieuse vivant en autarcie sur une petite île. Là-bas, alors qu'il découvre le fonctionnement et les règles étranges de cette micro-société, il doit cacher sa véritable identité aux têtes pensantes du groupe au courant de la présence d'un intrus...
"Apostle", c'est déjà une construction de récit plutôt maligne en trois temps qui dévoile rapidement un élément fantastique, le met ensuite en toile en fond durant la majeure partie du film avant de le faire ressurgir aux moments les plus propices.
Dans sa première partie classique d'infiltration, le film nous enferme avec son héros au sein de ce culte païen où le voile de l'utopie religieuse prônée vis-à-vis d'un monde extérieur voulant la détruire ne sert qu'à dissimuler les intérêts personnels de ceux qui l'ont créé. Les talents d'orateur du gourou en chef (excellent Michael Sheen) transforment les âmes égarées en fidèles aveuglés par une foi qui nous apparaît encore lointaine hormis quelques rituels bizarres et, même si certains ont des doutes et transgressent quelques règles, tout le monde préfère fermer les yeux sur des agissements peu reluisants qui nous sont dévoilés par les découvertes de Thomas au film de son enquête pour retrouver sa soeur. Les figures rencontrées sont certes connues (la jolie fille plus futée que les autres, le couple de jeunes amoureux, un père bien louche, etc) mais cette mise en place s'avère des plus efficaces avec le suspense autour de la duperie de Thomas amenée à être forcément découverte à un moment ou à un autre. Surtout, on découvre qu'en plus du mensonge, cette communauté, bien plus fragile qu'il n'y paraît, a été littéralement bâtie sur/dans le sang et que l'affaiblissement de sa base et de ses ressources risque de la faire imploser tôt ou tard...
Cela arrivera bien entendu mais sur une forme plutôt inattendue où les trois hommes ayant élaboré cette micro-société vont devenir une hydre à trois têtes en réagissant de manière complètement différente face à la catastrophe annoncée. Le chef des débuts va s'entêter dans le système qu'il a lui même construit jusqu'à se persuader que tout est permis, même le pire, pour maintenir cet environnement pseudo-utopique, c'est une première forme de fanatisme. Il y a le deuxième, bien plus rationnel mais lâche, qui préfère prendre la fuite devant la tournure de plus en plus violente des événements. Le troisième, lui, nous était apparu comme un personnage brutal, silencieux, avec une déviance inassouvie et toujours en arrière-plan : lorsque la situation dérape, il devient le symbole d'un extrémisme religieux radical et d'une violence inouïe née de sa frustration.
Au delà de ces trois hommes dépassés plus ou moins consciemment par le "monstre" de religion qu'ils ont construit, il y a Thomas, ce héros dont le passé nous est révélé par l'intermédiaire d'un flashback (un grand moment de cinéma à lui tout seul) et qui devient une nouvelle voie face au fanatisme, marquée par une possibilité de rédemption et éminemment plus respectable face aux trois autres qu'il devra combattre pour se sortir à la fois de cette situation et de sa propre condition.
Encore au-dessus d'eux, il y a cet élément fantastique aperçu plusieurs fois pendant le film. Sans trop en révéler, cette "chose" bloquée par les agissements du pire de la nature humaine afin de mieux l'utiliser -ou l'interpréter sans la comprendre si on la prend comme une métaphore des textes religieux- pour assouvir sa soif de pouvoir, va jouer un rôle prépondérant qui va offrir l'occasion à "Apostle" d'aller souvent jouer sur le terrain de l'horreur.
La réflexion autour de toutes les formes de fanatisme religieux réunies par l'autodestruction inévitable de ce culte est déjà en soi brillante mais on a aussi un bonhomme du nom de Gareth Evans pour la mettre en scène et il ne déçoit pas ce bougre ! Alors que l'on est d'abord étouffé par l'atmosphère austère d'enfermement du décor insulaire dans lequel évolue cette communauté, le réalisateur va peu à peu faire éclater la violence sous toutes ses formes pour la faire correspondre au discours.
Les fulgurances d'horreur pure sont saisissantes avec une imagerie qui va même jusqu'à emprunter au jeu vidéo (il ne manque plus qu'une tronçonneuse à un certain personnage pour que l'on se croit dans un "Resident Evil", un vrai), la violence explose lors de scènes ne s'interdisant rien pour faire couler le sang (là encore, les excès sont en parfaite adéquation avec le jusqu'au-boutisme du fanatisme) et on reste assez stupéfait par un film qui se révèle finalement assez généreux en séquences d'action (ce n'est pas "The Raid" non plus, hein, mais tout de même).
Plus étonnant, "Apostle" se permet même d'aller toucher au côté merveilleux, poétique du fantastique et également au mélodrame avec son couple de jeunes s'aiment envers et contre tout, on ne peut pas dire qu'on s'attendait à un tel melting-pot des genres de la part d'un Gareth Evans mais force est de constater qu'il s'en sort admirablement bien sur tous les plans.
Et puis, simplement esthétiquement, "Apostle" est très souvent à tomber à la renverse : que cela soit la photo, la recherche toujours inventive du meilleur plan pour traduire le trouble d'un personnage, les apparitions de toutes sortes ou juste sa mise en scène sans concession de la violence, on se régale constamment par la surprise dont fait preuve la réalisation pour relever son propos.
Passionnant et habilement construit sur sa dénonciation de tous les extrémismes religieux, "Apostle" marque le retour très en forme de Gareth Evans dans un cinéma dont "Safe Haven" avait posé les jalons et auquel il imprime une vraie marque qu'on a déjà envie de revoir...