Chez nous adopte le contraste et la nuance en loi de composition esthétique, opposant d’une part les apparences lumineuses et rassurantes du parti d’extrême-droite dans ses représentations officielles, d’autre part l’arrière-salle placée dans la pénombre et au sein de laquelle s’activent des groupuscules néonazis qui raccordent le parti à ce qu’il est au fond de lui. Le montage subtil orchestre à mi-parcours le chassé-croisé de la fiction claironnée et de la réalité cachée. Car, comme l’affirme Philippe Berthier, « changer de stratégie n’est pas changer d’objectif ». Le travail du cinéaste consiste alors à révéler la continuité entre passé et présent, à emprunter les souterrains du Rassemblement National en compagnie d’une jeune mère de famille divorcée ; il trouve en elle un personnage complexe dont l’humanité s’incarne dans ses hésitations, sa détermination à agir sur le monde et contre la précarité qu’elle vit au quotidien. C’est dire que l’esthétique du contraste se voit redoublée par un protagoniste principal lui aussi contrasté, nuancé, auquel nous nous attachons sans tarder. Pauline apparaît perdue dans une ville sur laquelle son engagement politique lui permet d’avoir prises, enfin reconnue comme une travailleuse aux services des autres. L’intelligence du long métrage consiste alors à montrer comment ce service est instrumentalisé par un parti soucieux d’aseptiser son image, comment la candeur et l’innocence d’une personne peuvent être exploitées et dégradées à des fins de campagne électorale. Lucas Belvaux regarde l’extrême-droite tel un conservatoire intéressé d’une souffrance populaire que celui-ci convertit en une prétendue légitimité à parler pour le peuple, alors qu’il n’en est rien. L’hypocrisie des dirigeants, l’uniformisation des candidats, la duplication du leader – puisque Pauline doit se conformer à l’image d’Agnès Dorgelle –, les stratégies de conquête qui reposent sur une manipulation généralisée, tout cela s’incarne à l’écran avec éclat et justesse, annonçant un autre excellent long métrage, documentaire cette fois, La Cravate (Mathias Théry et Étienne Chaillou), sorti en 2020. Porté par d’excellents acteurs, Chez nous est un grand film qui prolonge la thématique, chère au cinéaste, de la conciliation avec lui-même et avec les autres d’un individu engagé malgré lui dans une histoire qu’il n’a pas choisie.